JAZZ A LA IVème ARMEE 
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1917 - 1918
 
   
UNE MUSIQUE MILITAIRE AMERICAINE EN CHAMPAGNE… 
 
     Parmi les troupes américaines participant à l'effort de guerre au côté des Alliés, plus de 350000 soldats noirs africains étaient réunis dans des unités de couleur. La majorité de ces unités n'avaient qu'un rôle de support , mais plusieurs d'entre elles eurent la particularité d'être totalement intégrées aux armées françaises sur le front où elles s'illustrèrent au côtés des combattants alliés, y gagnant des surnoms tels que " Hell Fighters " . 
 
     171 noirs américains furent décorés de la Légion d'Honneur. 
 
     Ainsi la 93ème Division " provisional " fournit trois de ses régiments à la IVème Armée du Général GOURAUD : le 369ème affecté à la 161ème DI, les 371ème et 372ème à la 157ème DI. Une stèle à la mémoire du 371ème RI a été érigée sur la crête dominant le village d'Ardeuil. Un monument à la gloire du 369ème RI et de la 93ème DI US a été inauguré le 29 septembre 1997 à Séchault. 
( Cf bulletin ASMAC de Janvier 1998 ). 
 
     Un aspect particulier de la présence de ces unités en France mérite le développement que nous proposons aux lecteurs dans ce bulletin. En effet, ces unités étaient très souvent accompagnées par un orchestre, et c'est par l'intermédiaire de ceux-ci que la France et l'Europe ont découvert le Jazz noir américain. 
 
     Le 369ème était accompagné par un orchestre dirigé par le Lieutenant Jim Europe , le premier officier noir américain à combattre au front, dont la renommée comme musicien de jazz n'a fait qu'être accrue par cet épisode de guerre. 
 
   
Ci-contre : une affiche annonçant un concert de jazz par l'orchestre de Jim Europe. 
 
Ci-dessous : une pochette de disque du Jazz Band de Jim Europe. 
 
 












 
 
     En 1942, Noble Lee Sissle, l'un des chanteurs qui accompagnait l'orchestre de Jim Europe a rédigé les " mémoires de Jim Europe " dont un extrait est proposé dans ce numéro. Le document original est conservé par la Librairie du Congrès Américain , dans la section qui traite de l'odyssée des noirs Américains, et dont une partie couvre leur rôle pendant la première guerre mondiale. 
 
     On trouve dans ces mémoires plusieurs références au Général Gouraud ainsi que la transcription d'un échange de courrier avec Noble Sissle, et une recherche rapide dans les archives photographiques conservées maintenant au Ministère des Affaires Etrangères nous a permis de retrouver plusieurs clichés dans lesquels apparaissent le Général Gouraud et un orchestre noir qui est selon toute vraisemblance celui de Jim Europe. 
 
     Extraits des mémoires du Lieutenant " Jim " Europe, par Noble Lee Sissle 
( Chapitre XVII Nous intégrons l'armée Française ) 
 
     Après avoir passé un mois dans cette ville bien connue au pied des Alpes ( NDT : Aix les Bains ), tous les membres de l'orchestre, y compris le Sergent Holliday et moi même, étions dans la meilleure forme possible, et quand nous avons reçu l'ordre de rejoindre notre régiment au front, le service " actif " devint une réalité. 
 
     Bien qu'ayant connu une période très agréable ici, parmi des français très accueillants, et les spectateurs très réceptifs qu'étaient nos camarades yankee arrivant des tranchées boueuses de l'Alsace-Lorraine, nous étions prêts à partir. 
 
     Notre curiosité était extrême, piquée par les nombreuses histoires racontées par le premier contingent de nos garçons qui revenaient du front, et que nous avions distraits, et l'esprit d'aventure inné dans chaque américain était ravivé par toutes leurs histoires. Nous étions très pressés de sauter dans la mêlée. 
 
     Nous étions particulièrement amusés d'entendre les Porto Ricains exprimer leur détermination à prendre un " Bush German ". On aurait pu croire qu'ils étaient prêts à aller jusqu'à Berlin. 
 
     Après un trajet de 24 heures, nous avons été rappelés aux dures réalités de la guerre lorsque nous avons commencé à croiser les trains ramenant les blessés du front. 
 
     Tous les soldats que nous avions écoutés étaient ceux qui avaient eu la chance d'échapper à ces horribles massacres, et nous avions réservé pour l'ennemi le rôle de ceux qui étaient à l'hôpital. Mais quand nous virent ces corps mutilés, et entendîmes les gémissements et les appels des blessés, notre esprit bravache se transforma rapidement en réflexions sérieuses. 
 
     Chaque fois que nous nous arrêtions pour croiser un train de troupes ou de blessés, nous descendions toujours et nous jouions volontiers, quand la situation le permettait, pour nos amis alliés, et nos efforts étaient récompensés par tant de cris de joie et de sourires que nous commencions à croire que notre mission en France était celle de distraire ceux qui avaient supporté l'effort de la bataille. Et bien que nous soyons toujours prêts à donner la dernière goutte de notre sang pour la cause pour laquelle nous nous étions engagés, nous découvrions que chacun en France avait un rôle différent à jouer, et que le meilleur atout qu'un régiment de l'armée pouvait posséder était un bon moral. Nous avons rapidement découvert que rien ne pouvait mieux améliorer le moral des troupes en ces journées noires que les mélodies émouvantes et les rythmes syncopés que nous savions jouer. 
 
     Tout se passait bien pour notre trajet jusqu'à l'arrivée de la nuit. Aucun de nous ne sachant parler français, et le train n'étant servi que par des Français, nous n'avions aucune idée de l'endroit où nous étions. Le Capitaine Little et le Lieutenant Europe étant officiers, étaient dans des compartiments de première classe, alors que nous, les engagés, étions en troisième classe. Vers trois heures du matin, le train fut coupé en deux, chaque moitié prenant une direction différente. 
 
     Au moment ou nous étions montés dans ce dernier train, nous nous étions précipités dans le premier compartiment disponible, et quand le train fut divisé en deux, pendant notre sommeil, la moitié d'entre nous partit dans une direction, et l'autre moitié dans l'autre. En nous réveillant au matin, et dans la première gare que nous avons atteinte, nous sommes partis à la recherche de nos compagnons, sans succès. 
 
     La partie du train dans laquelle j'étais allait à Châlons ( Challonne dans le texte ! ), comme je le découvris plus tard, alors que l'autre partie, avec le Lieutenant le Capitaine et les autres membres de l'orchestre allaient vers la petite ville dans laquelle il devait rejoindre le régiment. 
 
     Comme personne ne comprenait l'anglais dans notre train, et alors que le sifflet du départ sonnait, nous remontèrent précipitamment et nous arrivèrent à Châlons, très désorientés, ne sachant même pas quelle était notre destination réelle, le Lieutenant et le Capitaine étant les seuls à avoir les ordres de marche. 
 
     A notre arrivée, nous fûmes très heureux de trouver un policier américain, et doublement heureux de découvrir qu'il faisait partie d'un détachement de la 27ème Division de New York, une partie des ingénieurs rattachés à cette partie du front. 
 
Nous n'avions pas encore réellement conscience de la distance qui nous séparait du front jusqu'à ce que, sans avertissement, nous entendîmes un bruit perçant, comme le cri d'un faisant, suivi par une l'énorme explosion d'un obus venant des lignes allemandes. 
 
     Jusqu'à cet instant, nous n'avions même pas entendu un seul coup de canon, bien qu'étant près de la plus grande concentration d'artillerie de notre front. Ils avaient peut être tiré pendant la nuit, mais nous étions endormis quand nous sommes arrivés à portée d'oreille, et vous pouvez bien imaginer le résultat de ce premier baptême du feu, sans cérémonie ni préparation. 
 
     Tous les Porto Ricains se trouvaient avec cette section rencontrée à Châlons, et en dépit de leur souhait de prendre du " Bush German ", je n'ai jamais vu une aussi grande course aux abris déclenchée chez ces musiciens-soldats par cette explosion. 
 
     De fait, ils se cachèrent si bien qu'il nous fallut deux jours pour les retrouver tous et les rassembler. Entre temps, j'avais découvert où était notre régiment et comment nous y rendre. 
 












Noble Lee Sissle, ci-contre à droite. 









 
     Jim Europe, ci-contre, à gauche, est mort en 1919 assassiné par la folie de l'un de ses musiciens, mais sa réputation et celle de son orchestre ont perduré au-delà de sa disparition. 
 
     Il se trouve que nos soldats n'avaient jamais été au contact de l'ennemi, et quand nous arrivâmes à Heirpont ( Herpont ), au campement du régiment, nous découvrîmes rapidement que l'orchestre avait été la première troupe du régiment à être confronté à un tir d'artillerie. Il va sans dire que les Porto Ricains eurent beaucoup de plaisir à raconter leur expérience, et à décrire dans leur anglais approximatif ce qui s'était réellement passé. 
 
     Par ailleurs, il y eut aussi beaucoup de joie dans le régiment d'avoir retrouvé son orchestre après six semaines de séparation. Bien qu'ils regrettaient beaucoup St Nazaire, ils étaient maintenant dans une base américaine, et croisaient des milliers de soldats allant et venant, qui parlaient et comprenaient leur langue et qu'ils pouvaient comprendre. Mais ici, nous étions en France, isolés de ce qui pouvait être anglais, et complètement entourés par et rattachés à l'armée française. Par conséquent, l'arrivée de notre orchestre dans le régiment eut le même effet qu'il avait eu sur les soldats américains arrivant des tranchées à Aix les Bains. 
 
     Pendant notre séjour à Aix les Bains, l'orchestre avait amélioré de 100% son jeu, car c'était la première fois que le Lieutenant Europe avait pu lui consacrer tout son temps, et son programme quotidien, qui avait du évoluer, leur avait donné la maîtrise d'un merveilleux répertoire de danses et de chansons. Dans ce petit village où nous étions provisoirement cantonnés pour des exercices avant le départ pour les tranchées, les concerts que l'orchestre donnait chaque soir étaient particulièrement appréciés par le Colonel du régiment. 
 
     C'est dans cette petite ville que nous avons eu l'honneur de jouer pour ce grand guerrier français, le Général Gouraud. Il était le commandant de la IVème armée qui tenait le front entre Reims (Rheims dans le texte) et Verdun, et c'est lui qui avait accepté notre régiment et l'avait intégré dans la 161ème Division de son armée. C'est à l'occasion de cette première visite à notre quartier général qu'il devint un grand admirateur de notre orchestre, et j'eus à cette occasion la chance de lui faire grande impression en chantant " Jeanne d'Arc " que j'avais appris à chanter en français pendant notre séjour à Aix les Bains. Depuis ce jour, chaque fois qu'il visitait notre régiment, je prenais grand plaisir à sa demande d'exécuter cette chanson pour lui. Il était un héros des Dardanelles et de nombreuses campagnes dans les Colonies pendant lesquelles il avait perdu un bras et l'usage partiel d'une jambe. En dépit de cet handicap, il était toujours en activité. La plupart des soldats mutilés comme lui avaient été retirés du service actif, et il était très frappant et inspirant de voir ce vétéran de tant de campagnes, lors de ses tournées d'inspection. Bien que paraissant faible et fragile dans sa silhouette déformée, quand il venait assez près de vous, pour que vous puissiez voir l'éclair de feu dans ses yeux, et son regard confiant et déterminé, vous compreniez pourquoi il était surnommé " le Lion de l'Argonne ". 
 
Le régiment était très dispersé par l'affectation des différents détachements dans les écoles militaires françaises. Des interprètes avaient été requis de partout pour apprendre à nos hommes les méthodes françaises, car il faut savoir que, excepté nos uniformes, tout ce qui était américain nous avait été retiré. 
 
     Nous étions entièrement équipés avec des fusils et des casques français. Nos carrioles, nos rations, nos mitrailleuses, et tout l'équipement du régiment pour une guerre de tranchées était fournis par l'armée française. 
 
     Il était prévu qu'il nous faudrait au moins six semaines avant de d'être prêts à prendre notre position dans les lignes du front. Les Sergents, les sous-officiers, et les serveurs des compagnies de mitrailleuses et mortiers avaient été envoyés en école pour apprendre le maniement de ces nouveaux matériels. Tous les jours, les autres membres de la troupe étaient entraînés par des interprètes aux formations et manœuvres d'approche militaires. 
 
     Nos garçons apprirent si rapidement ces manœuvres qu'au bout de trois semaines, le général commandant la 161ème Division donna l'ordre qu'un bataillon de nos garçons fut placé dans les tranchées aux cotés des soldats français pour un entraînement au contact. Cette décision fut accueillie avec beaucoup de joie par nos garçons. 
 
     Une franche camaraderie entre eux et leurs collègues français s'était installée. Nos officiers et les officiers français étaient devenus amis. Les sous-officiers français, qui tenaient un rang un peu plus élevé que leur homologues dans notre armée en raison de leurs longues campagnes antérieures, traitèrent nos garçons avec toute la courtoisie et la camaraderie que l'on pouvait attendre. 
 
     Le plus réjouissant de tout était la camaraderie existant entre nos engagés et les " vieux fidèles poilus français ". Vous pouviez les voir parcourant les chemins, bras dessus bras dessous, à peine capables de se comprendre, le français de nos garçons étant aussi mauvais que leur anglais. Dans leur s âmes et dans leurs cœurs battaient les mêmes émotions. Ils étaient ici pour la même cause - la liberté. 
 
     Je n'oublierai jamais la scène de ce matin de mars ou l'on nous appela avec l'orchestre pour conduire le premier détachement de nos soldats et les escorter à la sortie de la ville dans leur pèlerinage sur les routes de France vers les tranchées à la limite du " no-man's-land ". 
 
     Toute la population française était présente. L'orchestre était aligné devant le quartier général du colonel, sur la place du village. Le général, via son interprète, fit un discours magnifique dans lequel il évoqua la vaillance avec laquelle nos garçons avaient lutté pour apprendre les méthodes de cette terrible guerre, combien il était heureux de les savoir au sein de sa division, et comment ils avaient restauré l'esprit déprimé de celle-ci. 
 
     La plupart de ses hommes avaient connu les quatre années de guerre. Parmi eux, quelques-uns uns représentaient les restes d'une division qui avait connu la boucherie de Verdun. Quelques-uns uns avaient pris part à cette mémorable première bataille de la Marne, et il voulait que nos garçons sachent qu'ils étaient considérés comme des égaux par tous ceux qui portaient sur ce champ de bataille l'uniforme de l'armée des Alliés. 
 
     En réponse à ses remarques, notre Colonel à son tour lui promît le soutien sans faille de tous les soldats sous son commandement. Il lui dit que la plus grange déception de nos garçons en arrivant en France avait été d'être affectés à des travaux du Génie à Saint Nazaire. 
 
Deux photos ci-dessous, montrant des détails du Jazz Band du 369ème RI US
 
 
 













 


     Ils s'étaient engagés comme volontaires dans la grande Garde Nationale de New York pour venir en France et se battre et apporter leur aide à l'arrêt de l'impérialisme, et qu'ils avaient l'intention de mener ce combat. Aucun honneur plus grand ne pourrait être fait à ce régiment que de devenir une partie de cette grande armée française qui s'était toujours conduit si bravement contre les assauts terribles des forces du Kaiser. 
 
     L'étape suivante du programme prévoyait que notre orchestre joue l'hymne " Star and Spangled Banner ", et tous les soldats français se mirent au garde-à-vous en saluant, suivie une par " Marseillaise ", jouée d'une façon émouvante et remuante qui donna des frissons à tous les patriotes présents. 
 
     Quand les dernières notre de la Marseillaise disparurent dans un synchronisme parfait, comme je l'avais demandé en tant que tambour major, nous entamèrent le " Star and Stripes Forever " et, au signal du Colonel, nous avancèrent et nous mirent en ligne dans la rue, le troisième bataillon mettant comme un seul homme l'arme à l'épaule. Au commandement " En avant marche ", et en rythme avec les battements des tambours et les sonneries des trompettes, le premier détachement de soldats noirs américains démarra son pèlerinage vers les périls du " no man's land ". Dans ce bataillon, il y avait un officier noir, le " First Lieutenant " en charge des mitrailleuses, le premier officier noir américain à commandes des troupes dans les tranchées qui séparaient l'impérialisme de la démocratie. Ce " First Lieutenant " n'était autre que Jim Europe. 
 
     Il n'y avait aucun œil sec parmi les paysans et les soldats. Personne dans la colonne en marche ne regardait ni à droite, ni à gauche, mais ces visages noirs et sévères, sous les casques bleus français, montraient par leur expression déterminée et tendue qu'avec toute la tradition du soldat noir américain battant dans leur poitrine, ils étaient déterminés à honorer cette valeur, et étaient prêts à rencontrer leur destin, quel qu'il fut, et que " vienne le mal, vienne la peine, dans la vie comme dans la mort, maintenant et toujours, ils défendraient Stars and Stripes " (" come weal, come woe, they would in life and in death, now and forever, stand for the Stars and Stripes "). 
 
     Crispus Attucks, qui fut le premier à verser son sang sur le Common de Boston, au lieu dit du massacre, était un noir. Il est mort pour la cause de la Liberté. 
 
     A Fort Sumter, quand l'armée de l'Union attaqua cette place forte, les forces vives de la défense avancée étaient composées de garçons noirs du régiment du Massachusetts, commandés par Robert Gould Shaw. Ils jetèrent leurs corps noirs dans cette pluie de feu sans vaciller. Eux aussi se battaient pour le principe de la Liberté. 
 
     A la colline de San Juan, quand le Colonel Roosevelt et ses braves " Rough Riders " s'étaient précipités avec vaillance dans plus fort du combat, et quand leur position se trouva menacée par l'ennemi, le 9ème et 10ème Cavallerie de soldats noirs chargèrent cette position dans une attaque mémorable dont leurs frères se souviennent avec fierté. 
 
     Ces exemples du courage des soldats noirs ont été racontés à ceux de notre race depuis leur enfance. On nous a toujours appris que l'Amérique est notre pays, et qu'il faut le défendre. Et ces pensées vivaces se reflétaient dans les yeux brillants, et dans le rythme constant et martial de ces chaussures à clous qui parcouraient ce petit village au rythme de " Sousa March ". 
 
     En arrivant à la sortie de la ville, et en nous plaçant de côté pour laisser passer les troupes, au commandement du Colonel nous lançâmes son morceau favori, qui était aussi celui du régiment, le " ragtime blues " appelé " Army Blues ", et l'attitude militaire et sérieuse qui avait envahi tout le monde fut immédiatement remplacée par le rythme syncopé et jazzé de " Army Blues ". 
 
     Enflammés par les émotions patriotiques de la cérémonie militaire, les sentiments des soldats étaient tendus , mais quand l'orchestre entama les accents de cet air si loin de la chose militaire, ceci déclencha chez les garçons des autres bataillons restant derrière un cri et un " hourra " qui eut un effet immédiat sur le visage de ceux qui s'en allaient. En accord avec l'esprit du morceau, ceux-ci s'éclairèrent par un sourire. Abandonnant la rigueur militaire, ils ôtèrent les casques de leurs têtes, et il y eut un " au revoir et bonne chance " général avec un abandon très typiquement noir. Tout comme les garçons du 9ème et 10ème Cavalerie que montèrent à l'assaut de la colline de San Juan, lors de cette charge mémorable où ils chantaient " il va faire chaud ce soir dans la vielle ville " (" there will be a hot time in the old town tonight "), ainsi était cet au revoir dans lequel tout le régiment, y compris les garçons qui partaient, se mirent à chanter les paroles de " Army Blues ". 
 
     L'orchestre joua jusqu'à ce que le bataillon soit hors de portée de ses accords, et après l'ordre d'arrêter de jouer, nous étions supposés rentrer en ville, mais l'orchestre, tout le régiment, et une grande partie de la population du village restèrent sur cette colline qui surplombait les paysages avoisinants, et de ce point de vue, regardèrent cette petite armée, dont certains ne reviendraient pas, qui serpentait sur les chemins tortueux. 
 
 
 
Paris, le 26 Avril 1927. 
 
ALH GOUVERNEMENT MILITAIRE DE PARIS --  
Le Gouverneur LE CHEF DE CABINET 
 
 
 
 
 
Cher Monsieur Sissle, 
 
     Le Général Gouraud a bien reçu la lettre par laquelle vous lui faisiez connaître que vous écriviez un livre sur la vie de " JIM EUROPE " 
 
     Le Général, très pris par ses occupations, me charge de vous écrire qu'il se rappelle fort bien JIM EUROPE, et même qu'il a appris sa mort avec le plus grand regret, car il ne peut oublier l'excellent orchestre que JIM EUROPE dirigeait les jours où il a eu le plaisir de l'entendre, en particulier à la cantine américaine de Châlons, à l'Independance Day de 1918, et il pense qu'un orchestre militaire comme celui-ci était excellent pour empêcher d'avoir le cafard. 
 
     Veuillez agréer, cher Monsieur Sissle, l'expression de mes sentiments les plus distingués. 
 
Mr. Noble SISSLE  
c/o Wm. Morris  
1560 Broadway,  
New York City. 
 
 
 
 
 
 La fête de l'Indépendance
 
     Le Général Gouraud notre prestigieux commandant, avait prévu, par respect pour notre régiment et les autres unités américaines affectées à son armée, de célébrer la fête de l'Indépendance Américaine le 4 juillet, dans la cantine de la croix rouge située près de la gare. 
 
     Dans le cadre de cette fête, notre orchestre avait été requis. Une grande affection mutuelle était apparue entre le général Gouraud et nous, et bien que son armée occupe un front de 80 miles, il se faisait un devoir de passer nous rendre visite chaque fois qu'il était dans le voisinage. A chacune de ces occasions, il semblait prendre un grand plaisir à écouter l'orchestre jouer et les chanteurs chanter. A la fin de ces concerts impromptus provoqués par ses visites, il demandait toujours que le dernier air soit " Jeanne d'Arc ", que je chantais en français. 
 
     L'orchestre était à trois ou quatre heures de trajet de Châlons où se trouvait le PC du Général Gouraud. Nous partîmes pour notre petit voyage au matin du 4. C'était la première fois que nous reprenions le train depuis notre arrivée d'Aix les Bains, tous nos trajets vers le front se faisant à pieds. 
 
     Bien que Châlons, qui est une grande ville, ne soit pas très loin, aucun d'entre nous n'avait eu la possibilité de s'y rendre depuis notre arrivée, et il va sans dire qu'il y avait un enthousiasme contagieux chez les membres de l'orchestre et les soldats du régiment qui chantaient faisant partie du voyage. Bien que prévu pour deux jours, vous auriez pu penser que les garçons partaient pour un mois tant étaient triste les mines de ceux qui restaient à notre campement de Maffrecourt. 
 
     Pendant les deux semaines précédant notre départ, il y avait eu une atmosphère générale très tendue, semblant laisser présager des problèmes d'une autre magnitude que ceux que nous avions observés jusqu'à présent . L'artillerie lourde se mettait en place sur des positions renforcées. Nous pouvions observer une recrudescence d'activité de nos avions d'observation, tant au-dessus de nos lignes qu'au-dessus des lignes ennemies. L'armée allemande était en train de préparer ce qu'ils appelaient " l'offensive pour la paix ", utilisant les troupes récemment libérées du front de l'Est par l'effondrement de l'armée russe. L'accroissement des positions de défense sur notre front était une précaution face à l'éventualité d'une percée allemande à travers nos lignes. 
 
     Bien sur, c'était pour notre régiment la première fois qu'il se trouvait dans une zone où les alliés avaient mené des mouvements offensifs ou défensifs. Si nous avions déjà observé ce genre d'activité, nous aurions pu anticiper ce qui arriva ce matin où notre orchestre quitta son village. 
 
 





















 
L'orchestre du 369ème RI US au PC du Général Gouraud à Châlons 
 
 
 
     Nous n'avions aucune idée de ce à quoi ressembleraient les quelques jours qui suivirent. Châlons ce jour là ne ressemblait en rien au Châlons que quelques-uns d'entre nous avaient pu observer en ce jour mémorable où nous avions été séparés du reste de notre troupe. Ce jour là, il pleuvait, il faisait froid et humide, comme c'est souvent le cas en mars. Mais en cette journée glorieuse du 4 juillet, les arbres étaient couverts de feuilles, et cette journée était typiquement de celles qui justifient le surnom de " France ensoleillée ". Le soleil brillait dans un ciel bleu où flottaient quelques rares nuages blancs. Le fond de l'air était doux, mais pas trop chaud ni humide comme souvent aux Etats Unis, et la température modérée de ces journées n'atteint jamais ici des extrêmes qui les rendraient inconfortables. 
 
     A notre arrivée à Châlons, l'orchestre défila en ville en jouant des marches américaines et des chants populaires. A midi, nous offrîmes un concert dans un kiosque situé dans un parc de la ville. Nous étions le tout premier orchestre américain à jouer dans cet emplacement. C'était aussi la première fois que nous jouions dans une grande ville si près du front, et nous pouvions voir sur le visage des gens une tristesse et une tension bien supérieure à celle observée plus loin du front. Ce fut un grand plaisir de voir l'effet de notre musique sur ces gens tristes et fatigues de la guerre. 
 
     L'ennemi savait bien sur que Châlons était le centre de commandement du Général, et était constamment bombardé par l'artillerie lourde et chaque nuit par les avions, dans l'espoir qu'un coup chanceux frappe certains membres de notre haut commandement. Ceci amenait la plupart des gens à passer leurs nuits dans des " abris " (en français dans le texte), c'est à dire des emplacements souterrains où ils seraient à l'abri du feu de l'ennemi. 
 
     Dans l'après-midi, les cérémonies militaires se déroulèrent dans le réfectoire à proximité de la gare qui avait été aménagé pour accueillir au moins cinq cent personnes assises, et une estrade avait été dressée pour les discours et les distractions. 
 
     Les devoirs de notre Colonel le maintenant au front, et le lieutenant Europe ayant été évacué vers un hôpital proche de Paris suite à son aventure dans le " no-man's-land ", c'est le Capitaine Hamilton Fish Jr. qui était en charge de notre troupe et représentait le régiment, et l'orchestre était sous la direction du chef Mikell. 
 
     Plusieurs généraux français étaient présents, un bouquet de drapeaux américains flottaient, et un grand nombre d'infirmières et de docteurs américains assistaient à l'événement. C'était de loin la plus grosse délégation de personnels américains devant laquelle nous avions joué en France jusqu'à présent. 
 
     Et oh combien ont-ils apprécié ces vieux airs américains, ces mélodies syncopées, ces quartettes de chanteurs, et les danses des garçons ! Leurs visages étaient illuminés par leurs sourires, et rayonnaient de joie. C'était très agréable pour nous de mesurer l'impact de nos distractions. Il n'y eut qu'un incident qui assombrit l'après-midi, et il fut bien près de la terminer brutalement le programme de l'orchestre. 
 
     Nous étions très habitués à entendre des avions dans le ciel, et quand les vrombissements de deux moteurs se firent entendre au-dessus de nous, bien peu le remarquèrent, mais quand explosa un coup de feu dans le ciel bleu - en fait plusieurs coups de feu - nous découvrîmes qu'il s'agissait de l'un de nos avions de défense engagé dans un combat aérien avec un observateur allemand. Le pilote de l'avion au-dessus de l'autre, et qui retournant vers le bas le feu de sa mitrailleuse pour défendre sa propre vie, n'avait pas présent à l'esprit que ses balles, si elles rataient l'ennemi allaient se perdes ailleurs. 
 
     Je suis sûr cependant que s'il avait eu conscience qu'il allait détruire une excellente cérémonie du 4 juillet, en envoyant un peu trop près de nous une volée de balles d'acier, il aurait utilisé toute son habileté pour choisir un angle de tir différent et évité que ses balles perdues ne mette en danger les vies de ceux qui ne cherchaient qu'à distraire les autres et qui n'avaient aucune animosité envers personne. 
 
     Il nous fallut beaucoup de discipline pour que l'orchestre reste sur l'estrade, et quand ces petits messagers de mort commencèrent à frapper le toit, il ne fut plus question de jouer. 
 
     Je pense que la seule raison pour laquelle personne ne se mit à courir est que les balles arrivant si rapidement, et compte tenu de la position des avions, il était aussi dangereux de bouger que de rester immobile, et avant que chacun ait eu l'occasion de réfléchir une seconde fois, l'un des avions se brisa et nous vîmes tomber l'aviateur allemand et son aéroplane. 
 
     Quelques-uns uns des officiers français, auxquels Jim Europe faisait référence en les traitant d'amoureux de la mort, prirent leurs jumelles pour observer les manœuvres de ces aviateurs, et ce sont eux qui lancèrent le cri victorieux quant ils purent, grâce à la puissance de leurs jumelles, discerner que c'était l'avion allemand qui tombait. L'aviateur français, pour montrer la joie de sa victoire, fit deux ou trois piqués et tonneaux victorieux, et disparut dans la direction de son aéroport. Les infirmières, les docteurs et même tous les participants sauf les membres de l'orchestre avaient déjà été témoins de tant de scènes semblables, et avaient déjà si souvent frôlé la mort, qu'ils avaient à peine été perturbés par l'incident. Par contre, les membres de l'orchestre, en particulier ceux qui avaient déjà reçu le baptême du feu dans cette ville, devinrent assez tendus, pas tant en raison des coups de feu, car ils avaient déjà subi des tirs d'artillerie - mais avaient dans ces circonstances toujours eu un abri vers lequel courir, et les membres de l'orchestre n'étaient pas les derniers dans ces courses au couvert - mais parce qu'ils étaient situés sur l'estrade, et qu'ils ne voulaient pas montrer le moindre signe de lâcheté aux autres, et particulièrement aux femmes, qui restaient immobiles à observer le déroulement du combat aérien, et donc tous restèrent immobiles pour l'honneur de notre virilité, alors que nos pieds nous disaient de courir. 
 
     Je dois avouer qu'il pas plaisant de voir quelqu'un se faire tuer, et je sais que personne ne souhaite voir détruire un autre comme le virent les membres de l'orchestre quand l'un des avions tomba. Ils ne savaient pas duquel il s'agissait, mais ils savaient que le feu avait cessé et que leurs vies n'étaient plus en danger. 
 
     Après un bon éclat de rire, le programme reprit, et entre chaque morceau, il y avait beaucoup de plaisanteries sur la manière dont chacun dans l'orchestre avait vécut l'incident. A les entendre personne n'était prêt à courir, et certains membres ne purent s'empêcher de faire remarquer qu'une bonne demi-douzaine de musiciens avaient abandonné leurs instruments et étaient à cheval sur la balustrade de la scène, dans des positions qui démontraient sans ambiguïté leur détermination à partir. 
 
     Nous avions atteint la fin de notre programme, avec une certaine déception provoquée par l'absence du Général Gouraud qui avait promis d'honorer cette occasion par sa présence, quand une annonce faite par un des officiers supérieurs nous avertit que le général avait envoyé un message disant qu'il faisait son maximum pour être présent et arrivait à plus de 40 miles à l'heure. Une soudaine activité de l'ennemi l'avait éloigné de son quartier général, et il s'efforçait d'arriver à Châlons avant la fin de la cérémonie. 
 
     Nous avions épuisé le programme officiel, et l'orchestre continuait à jouer d'autres morceaux pour prolonger les distractions jusqu'à l'arrivée du Général, et nous avions perdu espoir, l'orchestre s'apprêtant à ranger ses instruments, et la foule se dispersant quand la sonnerie de trompettes traditionnelle annonça l'arrivée de notre Général. 
 
     Tous retournèrent précipitamment vers leurs sièges, l'orchestre rassembla ses instruments, le commandement " garde à vous " fut lancé, toute l'assemblée se leva, et depuis notre position dominante sur l'estrade, nous pouvions apercevoir la silhouette boitante du petit guerrier alors qu'il descendait de la colline, couvert de poussière, ce qui montrait bien qu'il avait violé toutes les règles de la circulation pour être présent à cette belle cérémonie. 
 
     Après un bref discours, qui nous fut traduit, il remercia l'assistance américaine à travers leurs représentants pour l'aide qu'ils apportaient à la France pour défendre une liberté que nous même, en tant que nation, avions conquise en cette même journée il y a bien longtemps. Après son discours, il se tourna vers l'orchestre et demanda à son interprète de nous remercier, et de nous demander de jouer des airs des plantations, qu'il souhaitait voir nos deux jeunes tambours Herb et Steve jouer, et enfin d'entendre son morceau favori : " Jeanne d'Arc ". 
 
     Ce morceau semblait avoir un effet profond sur le Général. J'en eus particulièrement conscience par la chaleur de la poignée de main qu'il me donnait chaque fois que j'avais eu l'honneur de l'interpréter en sa présence. Bien que ses yeux puissent paraître embués de larmes, il en émanait une lumière du feu et du courage que ce grand guerrier avait connu. On pouvait bien percevoir que chaque fois qu'il écoutait immobile les couplets mélodieux et plaintifs de ce morceau, ses yeux se perdaient dans le ciel et il y voyait une image de Jeanne d'Arc et de ses vaillants compagnons rassemblés sur les champs de bataille de France pour lutter contre ses ennemis et qu'elle puisse retrouver sa liberté. 
 
     Jamais il ne baissait son regard ni ne changeait de position, et après le dernier accord de la chanson, il restait immobile pendant quelques instants avant de percevoir la fin du morceau. On pouvait croire que se déroulait devant ses yeux dans le ciel un plan, une inspiration lui donnant la certitude qu'il jouerait un rôle important dans la lutte contre l'envahisseur qui menaçait de dévaster sa mère patrie. 
 
     Nos ordres étaient de rester pour la nuit, et de retourner à Maffercourt ( Maffrecourt ), notre quartier général, le lendemain, 5 juillet. Pendant toute la nuit, nous pouvions entendre les bruits de pieds, et les roulements des camions, les grondements sourds de l'artillerie lourde et le claquement des fusils, et le matin suivant, en parcourant la route nous ramenant vers le front, nous pouvions voir les tanks et les canons, camouflés derrière les collines Sous un bosquet d'arbres, un centre de communications avait été installé. Nous atteignîmes l'endroit où il fallait quitter le train pour monter dans des camions qui nous firent parcourir les cinq miles nous séparant encore de notre refuge. Tout le long du chemin, nous croisions de l'artillerie lourde, et il nous semblait qu'en une nuit, l'endroit avait été transformé en position d'artillerie. 
 
     En arrivant au quartier général à Maffrecourt, on nous ordonna de rester dans les camions car l'orchestre et la compagnie de soutien devaient reculer de cinq miles, pratiquement dans le village de Giesecourt ( Gizaucourt ), où nous avions quitté le train, et où se trouvait l'hôpital où avait été le Lieutenant Europe. Le Colonel et son état major se déplaçaient en avant de un mile vers un centre de commandement appelé " La ferme ", et nous attendions une vaste offensive allemande dans ce secteur qui avait été tranquille précédemment. 
 
     Toutes les unités non combattantes du régiment avaient été reculées afin de les mettre à l'abri d'une avancée de l'ennemi. Nous attendions une vaste offensive allemande dans ce secteur qui avait été tranquille précedemment. 
 
 
 




















L'orchestre du 369ème RI US, dirigé par Jim Europe, au PC de campagne du Général Gouraud. 
 
        Deux textes de Jim Europe et Noble Sissle faisant référence au " no-man's-land " cité plusieurs fois dans les mémoires qui précèdent. Le premier d'entre eux a été écrit par Jim Europe sur son lit d'hôpital à Gizaucourt alors qu'il récupérait d'une attaque aux gaz (les fichiers audio sont accessibles sur l'Internet à l'adresse donnée à la fin de cette page). 
 
On Patrol In No Man's Land  
Ecrit par James Europe, chanté par Noble Sissle, enregistré vers le 14-03-1919 
 
What the time? Nine? 
Fall in line  
Alright, boys, now take it slow 
Are you ready? Steady! 
Very good, Eddie.  
Over the top, let's go 
Quiet, lie it, else you'll start a riot 
Keep your proper distance, follow 'long  
Cover, brother, and when you see me hover  
Obey my orders and you won't go wrong  
There's a Minenwerfer [German mortar] coming -- look out (bang!)  
Hear that roar (bang!), there's one more (bang!)  
Stand fast, there's a Very light [flare]  
Don't gasp or they'll find you all right  
Don't start to bombing with those hand grenades (rat-a- tat-tat-tat) 
There's a machine gun, holy spades!  
Alert, gas! Put on your mask  
djust it correctly and hurry up fast  
Drop! There's a rocket from the Boche [German] barrage  
Down, hug the ground, close as you can, don't stand  
Creep and crawl, follow me, that's all  
What do you hear? Nothing near 
Don't fear, all is clear 
That's the life of a stroll  
When you take a patrol  
Out in No Man's Land  
Ain't it grand?  
Out in No Man's Land 
 
 
 
All Of No Man's Land Is Ours  
Ecrit par James Europe et Noble Sissle, chanté par Noble Sissle, enregistré vers le 14-03 1919 
 
Hello, Central  
Hello, hurry 
Give me 4-0-3  
Hello Mary, hello dearie  
Yes, yes -- this is me  
Just landed at the pier  
nd found the telephone  
We've been parted for a year  
Thank God at last I'm home  
Haven't time to talk a lot 
Though I'm feeling mighty gay 
Little sweet forget-me-not  
I've only time to say [Chorus] All of No Man's Land is ours, dear  
Now I have come back home to you, my honey true  
Wedding bells in june-y June  
All will tell by the tuney tune 
That victory's won  
The war is over  
The whole wide world is a-wreathed in clover  
Then hand in hand we'll stroll through life 
Just think how happy we will be  
I mean we three  
We'll pick a bungalow among the flagrant boughs  
When I come back to you with the blooming flowers 
All of No Man's Land is ours 
 
 
 
Pages web consacrée à James Reese Europe : http://www.worldwar1.com/sfjre.htm