Au Front de Champagne
La Butte du Mesnil par Frédéric JAPP
soldat dans l'armée allemande
Le récit qui suit est de Frédéric JAPP. Ce soldat allemand se trouvait à la Butte du Mesnil ou " Creideberg " pendant le pilonnement qui précéda l'attaque du 25 septembre 1915, son témoignage est intéressant car il nous montre l'action vue de l'autre côté et comment on est amené à se retrouver prisonnier.Introduction:Avant d'écrire sur l'offensive française en Champagne du 25 septembre 1915, je voudrais donner quelques explications sur les combats quotidiens dans les tranchées.1 -Combats de mortiers. :Quelques semaines avant la grande offensive française nous occupons la première tranchée sur une crête en Champagne. Les Français se trouvent à 30 ou 50 m, face à nous. Leur artillerie ne tire pas souvent car la distance entre les tranchées est trop petite et les obus risquent de tomber dans le camp français. Pour pouvoir se servir de l'artillerie, les adversaires sont obligés d'évacuer leurs propres tranchées. Dans ces conditions un autre système de combat s'est développé: il s'agit de lance-mines placés dans les premières tranchées.Dès que nous entendons la détonation des lance-mines, nous observons son périple: la mine monte droit; sa vitesse de montée initiale diminue au fur et à mesure de sa montée, jusqu'au point mort. Alors, elle culbute et retombe à une vitesse qui ne cesse de croître pendant la chute. Nous observons donc avec attention le point de culbute qui nous permet de définir assez bien le point de chute pour pouvoir nous sauver à temps.Les Français utilisent deux types de mines. Les plus dangereuses sont les mines lourdes à ailerons, que nous appelons "tabourets de cordonniers". Si plusieurs lance-mines tirent en même temps, l'observation devient plus difficile et très énervante. Surtout pendant la nuit quand nous ne pouvons en déceler l'endroit de chute. Dans ce cas nous restons donc très tendus et fort angoissés jusqu'à leur explosion.Une autre sorte de mine est cylindrique, de moindre importance et appelée "rondin ". Ces mines sont lancées depuis la première tranchée. Les Français sont fort adroits pour les diriger sur nous. Souvent, ils réussissent à les faire tomber directement dans nos tranchées.II -Combats par les galeries souterraines.Etant donné que les tranchées ennemies étaient très rapprochées, une autre sorte de combat se développa: nous creusâmes des galeries souterraines en direction des tranchées françaises pour les faire sauter. Ainsi, dans mon secteur, avions-nous creusé trois différentes galeries. Le travail de " mineur" fut exécuté par des soldats du Génie. Pour notre part, nous étions chargés d'un travail très pénible, consistant à porter les sacs remplis de la craie vers l'extérieur. Or, l'aération, dans ces galeries, était très sommaire et la chaleur étouffante. L'admission de l'air se faisait, en effet, par une longue conduite partant d'un ventilateur placé à l'entrée du tunnel, qui était constamment actionné par une manivelle.Tandis que nous avançons en direction des positions ennemies, les Français, de leur côté, travaillent pour atteindre notre tranchée. Afin d'observer réciproquement l'état d'avancement des travaux, nous faisons, de temps en temps, des pauses pour écouter. Ainsi pouvons-nous entendre les Français piocher ce qui nous permet de les situer. Il s'agit, en effet, de constater s'ils sont encore à une certaine distance de nous ou si, déjà, ils nous ont dépassés, s'ils sont à gauche, à droite, au-dessus ou en dessous de nous.Naturellement, les Français font la même chose. Et si nous observons que nos galeries sont trop proches, nous tâchons" d'étrangler" la galerie adverse en provoquant une explosion souterraine. Pour ce faire et pour tromper l'adversaire, nous continuons de piocher en posant, en même temps, l'explosif. Nous n'ignorons pas que si les Français sont plus rapides que nous, c'est notre galerie qui s'écroule et que nous sommes perdus. Nous évoluons donc dans une angoisse permanente et c'est une véritable guerre des nerfs qui se livre sous terre.Lorsque notre galerie atteint la tranchée adverse, nous préparons un explosif beaucoup plus important pour en faire sauter une grande partie. Les Français agissent de même et si nous constatons qu'ils sont parvenus à disposer une charge d'explosif sous notre propre tranchée, nous sommes contraints d'y rester car, généralement, l'explosion se double d'une attaque que nous devons parer. Ainsi, nous trouvons-nous sur un fût de poudre qui, à tout instant, peut exploser! Cette situation est insupportable. Nous comptons les heures et les minutes qui nous séparent du moment de la relève. Ensuite, c'est elle qui doit s'attendre à l'explosion. Une fois, nous avons juste quitté notre tranchée et nous trouvons encore dans le boyau que nous entendons l'explosion: nous sommes sauvés mais nos camarades, eux, sont hélas perdus.III -L'offensive française du 25 septembre 1915Le 18 septembre 1915, nous nous trouvons dans les tranchées, en première ligne, sur la crête d'une colline de craie, en Champagne, à environ 50 mètres des positions françaises. Ces deux derniers jours, le feu de l'artillerie française est devenu très intense. Nous avons pas mal de blessés et de tués et notre tranchée sont, en partie, détruite. Tout laisse supposer une prochaine attaque des Français. Nous espérons, toutefois, que cette attaque ne nous concernera pas, l'heure de la relève approche.En fin de soirée, précisément, arrive, enfin, cette relève si attendue. Aussi nous pouvons partir à travers les boyaux, vers la colline nue et blanche, en amère où se trouvent des abris assez profonds qui nous protégeront contre le feu de l'artillerie. Toutefois, le boyau que nous gagnons, pilonné par l'artillerie française, est presque entièrement détruit. Les cadavres de la bataille d'hiver qui furent vaguement enterrés dans cette région sont mis à découvert et l'odeur est épouvantable. Nous parcourons cet enfer de 4 km et sommes soulagés quand, enfin, nous atteignons notre point de réserve.Le cycle de nos relèves, sur ce front, est de 4 jours en première ligne, 4 jours sur la montagne de craie et 4 jours de repos dans la région de Ripont. En temps normal, nous sommes assez tranquilles sur la montagne de craie, mais la préparation de l'attaque se fait également sentir par le feu intense de l'artillerie, de sorte que nous sommes obligés de demeurer, pendant ces 4 jours, dans nos abris. Ainsi attendons-nous jusqu'au 22 septembre, jour de notre relève, pour partir vers nos positions de repos, en arrière, près de Ripont. Mais, à notre grande déception, l'ordre nous parvient de remonter immédiatement en 1 ère ligne où nous avons subi de telles pertes que nous devons renforcer le front. Assez découragés, nous nous mettons en route mais, cette fois, nous ne sommes pas obligés de passer à travers le terrain, sous le feu de l'artillerie. On nous fait entrer dans un abri très important qui forme un tunnel, sous la montagne de craie. A notre grande surprise, nous découvrons que ce fameux tunnel, qui a une largeur de 4 mètres et une hauteur de 3 mètres, abrite des stocks de ravitaillement, de véritables cuisines roulantes, des chevaux, etc... Il nous semble extraordinaire de trouver tout cela à deux kilomètres de la 1ère ligne!Nous avançons, dans ce tunnel, pendant 1 km environ et trouvons deux larges escaliers, taillés dans la craie, qui montent vers la surface. A la sortie de chaque escalier se trouve une équipe munie d'un lance-flammes. Nous sommes à 1 km à peu près, de notre 1ère ligne. Nous devons donc traverser ce terrain parsemé de trous d'obus et constamment attaqué par l'artillerie En sautant d'un trou d'obus à l'autre, tout en observant les tirs de l'artillerie, nous gagnons nos positions avancées. Notre section doit occuper la tranchée de couverture se trouvant à 8 mètres derrière la 1ère tranchée. Nous entrons aussitôt dans un abri conçu pour une trentaine de personnes, qui a deux sorties, car il nous est impossible de rester dehors pendant le pilonnage de nos positions.A chaque sortie de notre abri veille une sentinelle qui doit nous alerter en cas d'attaque. Nous devons alors sortir rapidement, occuper notre tranchée déjà ensevelie par le pilonnage des artilleurs et enrayer l'attaque par le feu de nos fusils et des grenades à main.Nous passons la nuit du 22 au 23 dans cet abri, secoué de temps en temps par des obus. Le roulement du feu de l'artillerie, que nous appelons " Feu de tambour ", ne cesse de la nuit et dure pendant toute la journée du lendemain. Vers l0 h du matin, un obus tombe sur l'une de nos sorties et la bouche complètement. Deux heures après, la deuxième sortie est, à son tour, obstruée. En travaillant avec acharnement, nous réussissons à la rouvrir, mais notre moral est bien bas!Vers midi, pendant une accalmie, sans doute à cause du déjeuner des artilleurs français, des volontaires sont demandés pour aller chercher du ravitaillement dans le tunnel. Je me propose car, malgré les risques du terrain à parcourir, je suis content de quitter, pour deux heures, cet abri étouffant! Nous partons donc à 6. Au retour, l'un de nous est blessé par un éclat d'obus. L'artillerie nous rend le chemin plus difficile. Nous parvenons enfin à notre abri avec du ravitaillement pour ceux qui nous ont attendu avec inquiétude. La seconde nuit se passe dans l'angoisse. Tant que l'artillerie tire sur nos lignes, l'attaque ne peut avoir lieu mais, dès l'arrêt des tirs, l'attaque menace d'être imminente.Effectivement, au matin du 24 septembre, à 10 h, l'artillerie se tait et nous sommes alertés. Nous nous précipitons dehors pour parer l'attaque de l'infanterie, par notre seule mitrailleuse. Après quelques rares sorties de soldats français de leurs tranchées, l'attaque est étouffée. Aussitôt l'artillerie recommence comme auparavant et nous regagnons rapidement notre abri. Ce jour, le 24 septembre, il n'est plus question de se rendre au tunnel pour chercher du ravitaillement. L'artillerie donne à plein. On n'a plus rien à manger et, surtout, plus d'eau. Je trouve dans ma musette un morceau de sucre que nous partageons en quatre.Vient la troisième nuit des bombardements qui durent maintenant depuis près de 60 heures. L'atmosphère de notre abri est lourde et presque irrespirable. Le moral est très bas. L'un de nous " craque" et se met à pleurer et à hurler.. Il nous faut le gifler pour le calmer.IV -Encerclés.A l'aube du 25 septembre, je constate que j'ai dormi malgré le feu de l'artillerie qui roule sans interruption. Vers l0 h, une accalmie se produit, puis notre sentinelle donne l'alerte. Nous nous précipitons dehors et constatons que les troupes françaises forment des lignes de tirailleurs sur la montagne de craie dans notre arrière et se dirigent vers nous pour nous prendre à revers. Nous sommes donc encerclés et nous trouvons devant l'unique alternative envisageable: ou bien nous défendre jusqu'à la mort ou bien nous rendre sans plus tarder. Le Commandant de notre le bataillon décide de riposter et donne l'ordre d'ouvrir feu sur les troupes qui se trouvent dans notre dos. Nous nous posons avec angoisse la question de savoir comment les troupes françaises sont parvenues jusqu'à nos positions de réserve sans passer à travers nos tranchées et pendant le pilonnage de nos positions par leur artillerie. En réalité, l'artillerie française avait cessé le feu seulement à certains endroits, là où la résistance avait déjà été très faible les jours précédents. Tout en maintenant le tir sur les autres secteurs, les troupes françaises étaient alors passées, en colonnes et même avec la cavalerie, à travers les brèches ainsi faites et s'étaient avancées jusqu'à nos positions de réserve. Ainsi avaient-elles encerclé les autres secteurs du front qui n'avaient pas été attaqués de face. Notre situation menaçait de devenir tragique d'un instant à l'autre. Convenait-il de tirer jusqu'au dernier moment et de se faire tuer ou valait-il mieux se rendre en temps voulu?Le Commandant, officier de carrière, ne voulut pas sacrifier ses soldats. Bien que, 4 jours auparavant, ayant envoyé un message au Quartier Général pour dire que notre position devenait intenable et demander l'autorisation d'évacuer les troupes, et ayant reçu une réponse négative, il décida de se rendre. Il nous intima donc l'ordre d'arrêter les tirs, de rendre nos fusils inutilisables en ayant soin de jeter le fermoir des chargeurs, de quitter nos casques et nos ceintures garnies de munitions et, e~ de mettre notre manteau.Ce fut, pour nous, un moment très pénible. Il nous fallait capituler!V -Capitulation.Il s'agit, maintenant, de faire comprendre aux Français que nous sommes prêts à nous rendre et de prendre contact avec eux. Le Commandant demande qui parle français. Dans ma section, nous sommes deux: un de mes camarades qui a été cuisinier à Paris avant la guerre, et moi qui ai appris le Français à l'école. Etant donné que ce camarade est plus âgé que moi et se trouve être marié, le Commandant se décide pour moi.Il me remet donc un grand mouchoir blanc et me charge d'établir le contact avec les Français.J'avance avec beaucoup de prudence dans notre tranchée. A chaque tournant de la tranchée, je montre mon mouchoir blanc et n'expose que mon bras avant de me hasarder davantage. Le chemin me parait interminable. Et j'aperçois un soldat français, accroupi, qui pointe son arme sur moi en me faisant signe d'approcher. J'ai la chance de tomber sur un homme tranquille qui saisit la situation. Je lui explique que mon bataillon désire se rendre, que je suis délégué par mon Commandant qui attend une réponse. Il me donne son accord. Je retourne donc chercher le Commandant du bataillon et les 80 survivants.VI- Captivité.Nous sommes conduits vers l'endroit de notre première tranchée, et la vision qui s'offre alors à nous est horrible: il n'y a plus que des trous d'obus et tous les nôtres qui étaient restés là, ont été déchiquetés. En traversant ce terrain où sont amassés blessés et morts, nous parvenons à la première tranchée française. Les soldats, baïonnette au canon, nous regardent passer en silence.Tandis que nous avançons toujours, un jeune soldat, qui doit se trouver pour la première fois au Front, se dirige vers moi et me demande, en allemand, si, comme lui, je suis étudiant. Je lui réponds par l'affirmative. Il me déclare que je ne dois pas être démoralisé d'être prisonnier de guerre, que les troupes françaises marchent vers la victoire et que, dans quelques semaines, la guerre serait terminée. Ainsi aurai-je la vie sauve et serai vite rapatrié. Cette rencontre sur le champ de bataille m'a fortement impressionné: un quart d'heure plus tôt, nous aurions du nous entre-tuer et voilà que nous parlons amicalement. Hélas, ce que ce jeune soldat m'affirma ne se réalisa pas: je dus passer 4 ans Y2 en captivité et ne fus rapatrié qu'en février 1920. En France, les prisonniers de guerre n'étaient pas renvoyés, à la fin de la guerre, dans leur pays mais retenus pour des travaux de déblaiement dans les anciennes régions de combat.Après une avance d'environ 15 km, l'offensive française fut colmatée par les réserves allemandes qui reconquirent nos anciennes positions et la guerre continua.D'après les indications officielles françaises, l'offensive fit 135 000 morts et 290 000 blessés, du côté français. Je ne connu pas nos pertes mais, d'après mes estimations, elles durent être de l'ordre de 100000 hommes dont un quart fut fait prisonnier.La guerre continua encore pendant trois ans, jusqu'en 1918. Nous continuons à traverser d'autres boyaux pour parvenir à une vallée protégée. Là, se trouvent de nombreux abris où l'on panse les blessés. L'activité y est très intense. De nombreux blessés reviennent du Front. Un soldat, blessé, homme fort avec une barbe, passe devant nous. Son bras gauche a été arraché et nous pouvons apercevoir le tronc, saignant. Il est tout à fait lucide et crie atrocement. En nous voyant et en dépit de ses douleurs, il lève son autre bras et nous menace. Ce fut une terrible et inoubliable rencontre.Puis, un soldat s'approche de nous avec un revolver. Il me demande ma montre. C'est un souvenir de mon père mais je suis contraint de la lui donner. Bien vite, je constatai que ce soldat était un grand amateur de montres... il faisait même un butin de guerre, à sa façon, avec prudence. En comparaison de la tenue très correcte des officiers et soldats français sur le front, cette attitude nous surprend. 11 s'agit, sans mil doute, d'un cas exceptionnel comme on peut en trouver, hélas, dans toutes les troupes!Peu après, un officier français me conduit dans une baraque, pour un interrogatoire. Il veut savoir si nous avons beaucoup de troupes en réserve, derrière le Front. Je lui explique que, comme soldat de 1ère ligne, je ne sais rien de ce qui se trouve à l'arrière. Il accepte ma réponse et me montre, à mon grand étonnement, un plan exact de nos tranchées sur lequel figure,'life même notre abri. Il veut alors que je lui dise où je me trouvais sur le Front. Je lui indique notre abri, qui se trouve désormais en position française, avec ses deux entrées dont l'une a été obstruée par les tirs de l'artillerie adverse. Il semble satisfait par mes explications et ainsi se termine notre entretien de façon très correcte.Après une longue attente, on nous conduit vers l'arrière. Nous passons la nuit dans un champ ceint par des barbelés et surveillé par des sentinelles françaises. Il pleut Le sol est trempé et boueux, aussi sommes-nous contraints de rester debout toute la nuit Toutefois, nous vivons notre première nuit sans bombardements. Physiquement, nous sommes très affaiblis; pourtant, nous restons éveillés en raison de l'énervement dû à la capitulation. De plus, depuis trois jours nous n'avons pas mangé ru bu.Au matin, grand rassemblement. Les soldats français distribuent du pain et de l'eau. Puis ils nous forcent à leur donner nos bretelles et nos ceintures. Ainsi devons-nous tenir nos pantalons et sommes-nous dans l'impossibilité de nous échapper facilement Ensuite, notre cortège se met en route, flanqué de part et d'autre de dragons à cheval. Après une heure de marche, notre misérable "troupeau"doit passer devant le Général Joffre, installé sur une petite colline, à droite de la route. Il porte son képi brodé de chênes d'or et sa traditionnelle cape.Traversant un village où se trouve la population civile, nous constatons que les habitants ont disposé, sur le bord de la route, des seaux remplis d'eau pour nous permettre de nous désaltérer, et c'est là un geste humain qui nous touche beaucoup.Enfin, nous parvenons à une petite station de chemin de fer, au sud de Châlons, où un long train formé de wagons à bestiaux nous attend. On nous charge dans ces wagons en refermant sur nous les lourdes portes à glissières.Bien sûr, nous ignorons notre destination.Les conditions de transport sont presque insupportables: pour que nos blessés puissent coucher, nous devons nous serrer énormément et nous sommes ainsi entassés, accroupis sur le sol. Nous devons faire nos besoins sur place, de sorte que l'atmosphère devient rapidement irrespirable.Le lendemain matin, nous sommes à Quiberon. Nous traversons la ville. La population, en se ruant sur nous, nous conspue et nous jette des pierres. Les soldats français ne sont pas en mesure de nous protéger. Je suis fort inquiet et doute de notre possibilité de sortir vivants d'un tel accueil. Après avoir tant apprécié le digne comportement des soldats et des populations françaises, près du Front, je ne peux croire qu'une telle haine existe dans le cœur de ces habitants de la Bretagne.Plus tard, j'en eus l'explication: ils ne connaissaient les Allemands qu'à travers les journaux et la propagande, alors que les soldats français du Front, vivant la guerre, connaissaient toutes les horribles choses que nous avions tous à supporter.Nous parvenons enfin au port où l'on nous fait embarquer.Nous devons nous entasser dans la cale du bateau et notre situation devient vite insupportable. Nous n'avons ru air ru lumière. De plus, beaucoup parmi nous ont le mal de mer. L'atmosphère est étouffante. Avec beaucoup de difficultés, nous parvenons toutefois à entre bailler une lucarne et obtenons des soldats français qu'on ne la referme pas.Environ trois heures plus tard, nous sommes à destination: Belle lie en Mer. Nous craignons, de la part de la population, le même accueil qu'à Quiberon. Or, il n'en est rien car les habitants, déjà en contact avec des prisonniers de guerre depuis un certain temps, savent qu'il s'agit d'hommes comme les autres. Ils nous laissent donc passer sans la moindre manifestation de mépris.Nous sommes conduits à la Citadelle où sont dressées des tentes pouvant, chacun, abriter vingt prisonniers. Enfin, on nous laisse tranquilles. Nous tombons de fatigue après tous ces événements.Hélas, dès le lendemain, nous constatons que la paille est envahie par les poux.De petites rations de pain noir nous sont distribuées. On donne, pour quatre prisonniers, une boîte de Corned Beef, en nous recommandant de conserver ces boîtes vides qui doivent nous servir à recevoir de l'eau car il n'y a ni gamelles ni cars, ni aucun équipement dans cette île. L'eau est, au demeurant, fort précieuse car elle doit être apportée de la Côte, par bateau spécial.