Le sergent Pascal Dubois
du 259 RI
secteur de Verdun - août 15 à mars 19 -
à 95 ans il raconte ses souvenirs de la guerre de 1914En 1904, je suis parti pour faire trois ans de services militaires, le 16 novembre, au 59ème d'Infanterie à Pamiers. J'ai été libéré le 12 avril 1907 comme soutien de famille, l'aîné comme garçon de cinq enfants vivants. En 1910, j'ai fait une période de 23 jours, on m'a changé le fascicule de mobilisation avec les galons de Caporal. En 1914, je suis parti le 2ème jour de la mobilisation le 3 août 1914, nous sommes partis avec mon pauvre frère Jean, lui, au 18 ème d'Artillerie à Toulouse et moi au 59ème d'Infanterie à Foix. On m'a donné une vielle veste avec les galons de Caporal et un fusil le 9 août, nous avons accompagné le 59ème d'Infanterie musique en tête et drapeau déployé, comme pour une grande fête, plusieurs criaient " à Berlin, à Berlin ". Le 11 août c'est le 134 territorial qui est parti dans les mêmes conditions et le 13 août c'est le 259ème d'Infanterie qui est parti à son tour. Le 26 août, j'ai été désigné pour partir en renfort au 259ème dans les environs de Verdun. Le premier septembre, ma femme est venue me voir le dimanche 30 août avec les trois petits enfants, le mardi 1er septembre, nous avons embarqué à notre tour.Le 4 septembre au soir, nous avons embarqué à St Mihel, le 5, nous avons rejoint le 259ème d'Infanterie à Rambluzen. Le 6 septembre premier jour de la bataille de la Marne, nous, nous sommes toute la journée autour du village de Oches dans la Meuse. Le 7 septembre, nous avons marché vers Ippécourt, nous fait 123 prisonniers, le 8 et le 9 septembre, nous sommes revenus à Oches pour enterrer les morts, le 10 septembre, j'ai vu mon pauvre frère Jean, il m'a dit qu'il avait plus de chances, lui que moi de s'en sortir, un mois après il a été tué à coté de sa pièce de 75 le 8 octobre 1914, près du fort de Troyon.Le 15 septembre, nous sommes allés prendre les premières lignes dans le village d'Etain, le 20 nous avons été relevés en allant vers les Eparges, j'ai revu mon frère Jean pour la dernière fois.Le 22 septembre, nous nous sommes battus dans les bois aux Eparges du coté de Combres, étant garde du drapeau avec ma section, nous avons vu les Allemands qui débouchaient d'un chemin à une centaine de mètres, le Lieutenant Builles à pris le drapeau, la garde du drapeau et moi le soir, nous avons cantonné à Vaux les Palamés. Le 24 septembre, nous étions à un petit poste avancé, dans les bois à St Rémi, le Lieutenant Périssé chef, moi avec mon escouade de 10 hommes, couché derrière un gros arbre abattu, deux régiments allemands passaient devant nous à 150 mètres en contre bas, encadrés par des officiers pour les encourager. Le Lieutenant Périssé, comme eux revolver au point et sabre au clair, tout droit derrière nous, il nous dit, il faut se faire tuer, mais pas reculer, une balle le traverse en pleine poitrine, il est tombé, nous l'avons porté dans un buisson et nous sommes partis.C'est le jour où je suis certain d'avoir tué des ennemis, deux cents mètres plus loin, nous avons trouvé le 283 d'Infanterie baïonnette au canon, avec le 259ème revenus faire le coup de feu avec nous,- mon capitaine, je lui dis, il y a deux colonnes qui vont dans cette direction- nous allons les arrêter dit-il.En arrivant derrière les arbres couchés en travers, je me suis couché derrière, deux soldats du 283 disaient " les voilà ", ils sont tombés morts à mes côtés, vers cinq heures, je n'avais plus de cartouches, j'ai dit à un Lieutenant, si on pouvait partir avec mes hommes, " Et bien, allez-vous en me dit-il ". Nous sommes partis cinq hommes et moi, les balles sifflaient mais nous n'avons pas été touchés, un peu plus loin, j'ai trouvé Dupuy Joseph, il revenait tout seul d'une patrouille, c'était presque la nuit et nous n'avons pas trouvé le régiment, un maréchal des logis de gendarmerie, nous a dit " que faites-vous par-là, le 259 ", le général est là, je demande à parler au général, je lui dis nous en venons vous savez ! Je lui dis " allons, calmez-vous, votre régiment est du coté de Mouilly ", nous ne l'avons pas trouvé et c'était la nuit, nous revenons à la ferme de Palmès avec le 283, le capitaine m'a dit " restez avec nous et demain je vous donnerais un mot, pour remettre à votre capitaine.Le lendemain, nous avons rejoint le régiment à Mouilly, l'adjudant nous a questionné, je lui ai montré le papier et je lui ai raconté ce que nous avons vu quand le régiment a quitté les positions, pour faire place au 283, mais le lieutenant Perissé n'a pas voulu abandonner notre poste et il est tombé héroïquement à son poste de combat.Puis nous nous sommes retranchés dans les bois du Chevalier, face au fort de Troyon, c'est là que mon pauvre frère Jean a été tué le 8 octobre 1914. Nous sommes restés dans ce secteur jusqu'au 10 juin 1915, mais entre temps, j'ai été évacué, des bois du Chevalier le 8 février 15 pour bronchite à l'infirmerie d'Ambli, j'y suis resté jusqu'au 7 mars, et un mois après, le 7 avril, j'y suis revenu jusqu'au 22 mai. Je suis remonté à la tranchée, le 10 juin 1915, nous sommes restés jusqu'au 13 janvier 1916. Du 13 janvier 16 au 15 février, nous avons eu un mois de repos à Villatte. Le 15 février au soir, nous avons cantonné au village de Marre, le 17 nous avons eu alerte à deux heures du matin avec un temps affreux, pluie, neige et un vent, nous sommes allés nous piéger au milieu d'un champ de blé au-dessus de Chattancourt pendant dix heures, nous avons piétiné dans la neige et dans la boue, à deux heures de l'après midi, nous sommes rentrés au cantonnement. Le 19 nous sommes allés en première ligne entre Béthencourt et Forges, vers minuit la relève finie, le capitaine me fait appeler, " je viens de recevoir un coup de téléphone me dit-il que des ballots de permissionnaires sont à Chattancourt (parce qu'il y avait 71 hommes en première ligne qui venaient de permission et qui n'avaient ni fusil, ni équipement, ni sac). On avait profité du mois de repos, pour y envoyer tous ceux qui n'y avaient pas été, il m'a donné un billet pour que le colonel me donne un conducteur pour transporter les colis à Béthencourt, tout seul, je suis passé au moulin de Raffécourt, remonté le Mort-Homme pour aller à Chattancourt, j'ai remis le billet au secrétaire du colonel et le 20 février à la nuit, nous sommes partis avec la voiture. Nous avons remonté le Mort-Homme, vers minuit nous étions à Béthencourt, nous avons déchargé les ballots dans une maison et le conducteur s'est dépêché de repartir, j'ai téléphoné au capitaine qu'il pouvait envoyer les hommes.- " je vais vous les envoyer " me dit-il, mais l'attaque c'est produite le 21 février à la pointe du jour, il ne me les a jamais envoyé.Le 22 j'étais avec des hommes du 283ème d'Infanterie, l'idée m'est venue d'aller voir les colis dans une autre maison, en refermant la porte, j'ai entendu un gros obus, je me suis tapis contre le mur, il a percuté le toit et tué et blessé les hommes du 283 qui parlaient avec moi quelques secondes avant. En rentrant sous le hangar une fumée et une poussière se dégageaient, des hommes avaient été mutilés, les brancardiers et infirmiers ont porté tous ces morts et blessés au poste de secours à l'infirmerie.Le 23 sachant que la compagnie était relevée et ne recevant rien du capitaine, je suis revenu à la compagnie, pour rendre compte de ma mission. S'il y a le 283, ils doivent être ravitaillés, alors il m'a donné un billet pour remettre au chef de ravitaillement pour les rapporter à Chattancourt, mais le ravitaillement se faisait à un Km et un obus était tombé sur la maison et les ballots y sont restés.Le 23 février 1916 au soir, je suis remonté au Mort-Homme pour revenir à Chattancourt avec le régiment, au bout route il y avait des voitures renversées et un cheval mais pas d'hommes. J'en ai rendu compte en passant au poste de Lumières, on nous a dits que c'était déjà signalé. En arrivant au régiment, j'ai rendu compte au capitaine de ma mission et nous avons renouvelé les équipements des permissionnaires par ceux que laissaient les évacués, morts et blessés.Par la suite, on allait faire des tranchées à la cote de l'Oie, mais quand les Allemands ont pris la cote du Poivre de l'autre côté de la Meuse. Le soir on allait placer des fils de fer barbelés en avant des premières lignes, le 5 mars, j'avais fini de renouveler les équipements des permissionnaires, parce que tous les jours il y avait des morts et des blessés.Le 6 mars, l'attaque s'est faite sur la rive gauche de la Meuse, nous avons pris position au Nord-Est du bois des Corbeaux, dans un petit poste pour une mitrailleuse. La troisième section, le Lieutenant, trois sergents, quatre caporaux et vingt-neuf hommes, en tout quarante-sept hommes, le 6 mars nous avons eu dix-sept hommes blessés, deux sergents, quatre caporaux et onze hommes, nous ne restions que vingt-huit hommes, le Lieutenant et moi. Le 7 vers quatre heure avant le jour, je suis allé avec quatre hommes reconnaître par qui nous étions protégé sur notre droite, parce que le 6, les Allemands avaient pris Forges et la cote de Oie jusqu'à Lumières, nous nous sommes approchés tout doucement, c'était un Capitaine du 34ème Territorial qui démontait deux mitrailleuses que ses hommes avaient abandonnés, " aidez moi à démonter les mitrailleuses et vous pourrez rapporter à votre Capitaine qu'il y a une compagnie de votre régiment et une autre du 220ème d'Infanterie à 200m à peu prêt ". Quand nous sommes revenus à notre poste, le jour commençait à peine, on voyait les Allemands qui faisaient des tranchées en avant de Forges. Vers neuf heures et quart, je venais de faire la relève des sentinelles, j'étais assis, un gros obus est tombé sur l'entré du poste, une poutre m'est tombée sur le devant du casque (qui est parti je ne sais où), elle m'a pelé le bout du nez et s'est posée sur ma cuisse droite, instantanément, je me suis trouvé mal, quand je suis revenu à moi, un homme me tirait par la jambe gauche en disant il est mort, parce que j'avait les jambes dans l'abri et le buste dehors et la mitraille tombait de partout, je me suis glissé dans l'abri et je me suis couché au pied de l'homme, la tête dans l'angle, c'est ce qui m'a sauvé parce qu'un autre gros obus est tombé en plein sur le poste tuant cinq hommes, moi même j'ai été enterré, mais ayant la tête dans l'angle, j'ai pu respirer, le Lieutenant qui était à l'autre angle a pu se dégager avec son ordonnance qui était blessé à un bras, " ici on ne peu plus y rester, il faut aller chercher du renfort, je les entends parler mais ne les voit pas, j'entends l'ordonnance se plaindre parce que le Lieutenant devait l'aider à sortir de l'ouverture qu'il s'est faite. Ils sont partis et moi quand même les forces me sont revenues en grattant la terre humide, je me suis dégagé, petit à petit, le Lieutenant à dit que j'étais mort. Quand les Allemands sont arrivés, ils ont élargis l'ouverture, ils m'ont pris par chaque bras, ils m'ont enlevé l'équipement, la musette et le bidon, ils me tapaient sur l'épaule en me disant " camerat ". Ils me tenaient par les jambes en disant " blessir, blessir ", l'un m'a donné un peu d'eau de vie, ça m'a redonné un peu de forces, un petit auxiliaire m'a pris par la main " com, com ", ce qui veut dire vient, vient. Un peu plus loin, un de ceux que j'avais placé en sentinelle est sorti de dans un buisson, il m'a embrassé en me disant " maintenant sergent, nous sommes sauvés ", il était blessé légèrement, son camarade à coté de lui avait été tué.Le 7 mars au soir, nous avons couché dans l'église de Bricule qui avait été aménagées en trois étages, le lendemain, j'ai été désigné pour surveiller une couvée, à midi, on nous a servi une soupe. J'ai vu une colonne qui se formait pour aller à l'arrière, je me suis mis dans la ligne pour aller embarquer à Stenay ou étaient Guillame et le Konspring qui étaient venus pour passer la revue de leurs troupes à Verdun. Ils ont été déçus puisqu'ils n'ont jamais pris Verdun.Le 9 mars nous avons débarqué à Darmstat, le 12 nous avons fait une carte postale, je suis prisonnier en bonne santé, attendais ma nouvelle adresse pour écrire. Le 19 mars, nous sommes allés au camp d'Egloseim-Ludvisbourg, le 22, j'ai écrit de nouveau et j'ai donné mon adresse à la visite du Major, j'ai eu 38,8 de fièvre, on m'a évacué à l'hôpital de Ludvisbourg. J'y suis resté jusqu'au 22 mai, le 13 mai un officier allemand en civil est venu s'entretenir avec nous, il nous a dit " nous les Allemands, nous sommes les premiers soldats du monde, mais après nous c'est vous les Français, si l'Allemagne allait s'allier avec la France on se serait emparés du monde entier ", voilà l'esprit allemand, s'emparer du monde entier pour nous imposer leur domination, leur culture. Il a fallu l'héroïque résistance du poilu français pour que ce funeste projet ne se réalise pas, pour sauver notre liberté.Le 22 mai, je suis revenu au camp d'Egloseim, j'avais reçu des lettres et des colis, les sergents Debrieu et Ferrand de Montgaillard m'ont invité à me mettre avec eux. Là il n'y avait qu'a répondre à l'appel, se tenir propre et faire la cuisine, pour les loisirs, il y avait toutes sortes de jeux, c'est là que j'ai appris à jouer aux échecs, j'ai fait des petits tapis, des têts d'oreiller, allez se promener autour des baraques pour pouvoir fumer, parce que dedans c'était défendu. Il y avait des fouilles pour voir s'il n'y avait pas des boussoles pour nous évader.Le 18 octobre 1917, ils nous ont envoyés au camp de Solteauz 3033, quatre baraques au milieu des marécages, il n'y avait pas d'eau bonne à boire, il fallait la faire bouillir ou la filtrer, nous avons acheté une cuisinière 72 marcs. Nous étions Debrieu Ferrand et moi, nous nous sommes mis avec les sergents Rau de Masères, Germain de Toulouse et Denjean de Suzenac, nous allions chercher du bois mort dans la forêt, pour nous faire la cuisine. Les quatre baraques étaient surélevées de un mètre cinquante par rapport au sol, il y avait des gros rats en dessous et des puces pour nous tenir compagnie. Nous y sommes restés jusqu'au 5 janvier 1919, presque deux mois après l'Armistice du 11 novembre, nous sommes revenus au camp de Solteau, puis à Ludvisbourg, nous avons pris le bateau pour nous conduire en Hollande sur le Rhin, nous avons débarqué à Nimègue et par le train, nous sommes allés à Flessingue, où nous avons embarqué pour nous rendre à Dunkerque en contournant la Belgique par la Mer du Nord, le 17 janvier par le train nous sommes passés par Amiens, Rouen, Le Mans, Bordeaux pour débarquer à Toulouse le 19 janvier et le 20 au soir je suis revenu à Daumier… après quatre ans d'absence et j'ai été démobilisé le 9 mars 1919.