Vouziers, octobre 1918
Chère petite Clotilde, me voici encore bien en retard pour venir vous remercier de tous les détails que vous nous donnez sur cette belle journée de fête en l'honneur de votre révérante mère Marie du Christ, comme tout cela devrait être imposant ! Emouvant !
Elle a du être heureuse de te voir choyée, gâtée par ses filles, ses amis et tout l'entourage, merci chère petite sœur de nous avoir permis de profiter un peu de votre joie partagée dans la prière réciproque car je n'avais pas oublié la date, mais en vous écrivant ma dernière lettre, j'étais bien fatiguée, j'avais par instant des malaises à me trouver mal, je mettais cela sur le compte de la fatigue. Oh ! là là, c'est beaucoup dire car depuis tous mes anicroches de santé je ne fais rien, rien du tout sans me douter car c'était encore si proche que je préparais à nouveau un formidable érysipèle du bras droit, cas plutôt rare qui depuis des années déroutent, même docteurs et professeurs!
Louise Anna DAVIOT
Et le cas, c'est moi qui le détiens depuis 1915 ou j'ai pris le microbe aux contagieux dans le service où j'étais en service commandé, donc vieux souvenir de guerre, vieux souvenir militaire, je faisais partie de la division " Z " spécialisée pour les gaz et dépendant directement du ministère de la guerre, j'ai fais toute la guerre 1914 à l'arrière chez les religieux de St Vincent de Paul, 1915 chez les frères ST Jean de Dieu, puis au front de Champagne dans un poste de secours à Somme-Suippe.
J'ai fait l'avance avec mon poste jusqu'à Pauvres, Vouziers, nous étions à ce poste le 11 novembre 1918 jour de l'Armistice et à 11 h1/2 de loin, on a vu une délégation de militaires Allemands venant vers nous, trois officiers se sont détachés et ont continué de s'avancer avec le drapeau blanc, c'était pour nous prévenir que les baraquements que nous avions pris deux jours avant en faisant l'avance, étaient minés et devaient sauter à deux heures de l'après-midi !…
Nous avions beaucoup de blessés gravement atteint qui n'avaient pu être envoyés à l'arrière et tout un baraquement de mourants ! Oh! que nous avons tous soufferts, on ne pouvait pas nous ravitailler et nous n'avions pas d'eau. Deux soldats allaient en chercher dans les trous d'obus et cette précieuse eau on la faisait bien bouillir pour pouvoir faire nos pansements tout en tachant de nous en réserver pour boire .
Nous n'étions pas beaucoup dans une division de secours, un médecin chef, un ou deux autres docteurs, un pharmacien, notre fidèle aumônier, un cuisinier, un ou deux infirmiers, deux brancardiers, à l'avance, à Vouziers qui était entouré d'eau comme le Mont ST Michel car les Allemands avaient ouvert les digues avant de partir pour nous empêcher d'avancer.
Vouziers sous les eaux
Donc à cette avance nous avons eu la joie de délivrer une communauté de religieuses et je revois comme si c'était hier, une religieuse à genoux devant moi embrassant le bas de ma blouse, mon bonnet faisant coiffe, elle pensait à une religieuse, j'étais confuse, je l'ai relevée en l'embrassant à mon tour avec joie comme une sœur, que de souvenirs. Elles avaient avec elles des réfugiés, des vieillards, il y a eu des scènes atroces de folie, ils avaient tous tant souffert! Une jeune femme tout à fait perdue se promenait drapée dans un superbe couvre pied aux couleurs vives, or nous qui mangions dans la boue, le gris, ces couleurs c'était hallucinant! Un soldat a pu nous l'attraper et avec l'aide du docteur et des médicaments on a pu finir par la calmer.
La folle de Ste Marie à Py, dessin d'Otto Dix (soldat allemand)
Est-ce la même personne? Restée dans le village au moment de l'invasion, elle ne fut pas retrouvée à l'Armistice
Pour les nourrir et nous aussi, nos deux soldats sont allés dans les champs nous prendre des pommes de terre, heureusement …à l'avance, on pouvait parfois trouver des champs cultivés, mais plus une place dans les baraquements, il a fallu faire une sélection des plus infirmes, des plus blessés, des plus malades. Je vous assure que chacun appréciait sa place, c'était des grands dortoirs pour soldats, vieillards, jeunes et enfants, on ne peut pas s'imaginer dans des cas comme celui-là il y a une fraternité, un amour du prochain, la pitié et le partage.
Mais voilà le soir est arrivé et nous n'avions reçu aucun secours demandé. Nous avons installé des brancards dehors, bien entendu, en serrant l'un contre l'autre pour pouvoir coucher tout le monde et pour leur donner un peu de chaleur. J'ai donné l'ordre que l'on me chauffe le plus de morceaux de briques, de gros cailloux, j'ai mis de l'eau dans de petites bouteilles de pharmacie et chacun avait auprès de lui une boisson qui n'était peut-être plus très chaude au matin, mais tout au moins pas glacée !
Ensuite nous avons continué notre avance par le fameux Château Rouge " Maison Rouge " dont on a tant parlé, puis nous sommes revenus à Stenay-Sedan où en arrivant on a fait l'appel, hélas! Avec la sonnerie et la réponse d'un officier à l'appel des noms " Mort au champ d'honneur "
Nous sommes arrivées en pleine épidémie de grippe pour soigner la population et recevoir dans le grand lycée aménagé en hôpital tous les réfugiés Belges qui se sauvaient de Belgique, surtout les jeunes hommes qui ne voulaient pas aller travailler en Allemagne, ils arrivaient avec la grippe, pour eux c'étaient l'affaire de trois jours malgré nos soins sept, huit, neuf sur dix mourraient, surtout qu'en plus de nos tourments tous les bidons d'oxygène avaient été vidés par les Allemands avant leur départ. C'est bien triste la guerre! Aussi aujourd'hui, je frémis pour les peuples qui actuellement sont en guerre !
Nous étions une équipe de trois infirmières, j'ai eu en 1918 la douleur d'en perdre une ma plus dévouée infirmière, morte en quelques jours à la suite d'une attaque par les gaz " Ypérite ", elle avait trente deux ans, sa photo et ses états de service étaient exposés aux invalides, ses parents habitaient Lyon, son père était pharmacien, Monsieur GERMAIN.
Vous jugez, petite sœur, comme mon cerveau se met à travailler, revivant des souvenirs, je m'excuse, je ne sais si je vais vous envoyer cette longue missive qui n'a aucun intérêt pour vous ! En tous les cas, je certifie authentiques tous les détails donnés sur ces feuillets.
Louise Anna DAVIOT, infirmière de la Croix Rouge Française