Histoires de guerre 
 
Face aux Boches - Wargemoulin (51)  - 5 Dec 1914 -
   
Le 5 décembre 1915 - Wargemoulin 
 
- Face aux Boches - 
 
     Mon cher André, puisque tu as l'amabilité de penser à moi de temps en temps en m'écrivant (et tu ne saurais croire quel plaisir tu me fais) je vais, en récompense te raconter avec détails, ce qui s'est passé, il y a deux jours dans notre secteur. En retour, je te demanderai de me continuer tes lettres et tu mettras le comble à mon bonheur en m'expédiant un stylographe ? n'est-ce pas abuser ? je ne le pense pas. Ici j'en avais bien un, mais si bon marché qu'il s'encrasse et refuse d'écrire. Ceci posé, tu dois savoir que nous passons notre temps alternativement dans la tranchée ou au repos. Il y a deux nuits, nous étions dans la tranchée. La journée avait été relativement calme, nos artilleurs seuls donnaient de la voix, et les boches répondaient sans trop d'entrain… on économise les munitions ! La compagnie voisine de la mienne occupe un petit bois qui va des tranchées allemandes aux nôtres, ce qui fait que ce petit bois constitue une espèce de couloir de communication et de chaque côté son placé des postes et des sentinelles afin d'empêcher le voisin de venir faire l'indiscret ! On est presque au nez à nez ! 
 




















 
 On est presque au nez à nez ! 
 
     Donc, l'autre nuit, un sergent décide d'aller voir les Boches dans le bois et de leur porter différents journaux et papier pour leur ouvrir les yeux sur la vérité de la guerre. 
 
     Il sort donc de sa tranchée, fait quelques pas et appelle la sentinelle Boche, ce dernier se replie aussitôt et averti son chef de poste, un sous-officier. 
 
     On cause :  
- Je voudrai bien aller vous voir dans votre tranchée, dit le sergent français qui écorche un peu l'allemand, 
- Vous pouvez venir, répond le Boche, mais laissez votre fusil, 
 
     Ainsi fut fait.  
- Je vous demande votre parole de me laisser repartir ensuite, je compte sur la parole d'un officier allemand !  
- Entendu…. 
 
     Et voilà mon sergent qui enjambe allègrement le parapet et tombe dans un abri occupé par dix-huit Boches et deux sous-officiers. Réception cordiale, les Allemands croient tenir un déserteur, ils sont vite détrompés, heureusement qu'il n'y a pas d'officier à ce poste, ils se tiennent en arrière dans la grand tranchée…. Et la conversation s'engage, le sergent essaye de convaincre les Boches qu'on les trompe, qu'on leur cache la vérité, que les Russes sont en train de leur passer la paille ! Ils hochent négativement le ciboulot et affirment que c'est nous qu'on trompe. Impossible de s'entendre… 
 
     Cependant, ils conviennent qu'ils commencent à en avoir assez de vivre dans les trous humides. Ils ne se plaignent pas de la nourriture, mais du manque de liquide, tandis que nous touchons tous les jours, vin et eau de vie… 
 
     Puis le brave sergent prend congé des Boches en se faisant accompagner par l'un d'eux un Lorrain qui parle le français. Ce dernier le ramène jusqu'à notre tranchée où on lui offre un quart de vin, qu'il apprécie, un paquet de tabac, un quart de rhum qu'il absorbe avec une visible satisfaction. 
 
     Puis comme on l'engageait à rester avec les Français, il n'a pas voulu objectant qu'il avait de la famille et un petit bien chez lui et que s'il désertait, on lui prendrait tout. Mais, a-t-il ajouté, à la première bataille je me laisserais prendre… 
 
     Comme tu le vois, les choses se passent souvent à l'amiable. 
 
 
 
 












 
     Je dois ajouter qu 'en quittant la tranchée boche, le sous-officier allemand avait dit au sergent français : Au revoir, demain peut-être je vous flanquerai un coup de fusil ! Dans ce cas, répond l'autre, tachez de me manquer… Et voilà ! 
 
     Il est question de récompenser notre brave sergent, il le mérite, car s'il avait rencontré un officier allemand, son affaire eût été claire en raison des papiers qu'il leur apportait. 
 
     Tandis que nous sommes ici et les camarades se font tuer dans le Nord et dans l'Argonne, on voit à Châlons toute une nuée de types frusqués comme des princes….propre et bichonnés comme des grues ; des gens qui ne soupçonnent même pas ce qu s'est qu'un coup de fusil ! et je ne parle pas de toute la séquelle qui grouille loin du front, qui s'agite, trépigne sur place parce que nous n'avançons pas ! Qu'ils viennent ! 
 
     Veux-tu une autre histoire ? Celle-ci est arrivée à ma compagnie, j'ai deux braves sergents, courageux entre tous, et un ancien zouave qui n'a pas lui non plus la frousse. 
 
     Il y a quelques jours, nous relevons en première ligne l'autre régiment. La compagnie que nous relevons avait eu une patrouille, la veille qui avait eu maille à partir avec les Boches, bref, dans la nuit, un de ses hommes était resté sur le terrain. Et, cet homme blessé appelait à son aide ! Quand le jour vint, on essaya de saisir l'endroit où il se trouvait. Il criait en patois afin que l'on comprit qu'il était Français. Il s'était réfugié dans une baraque de cantonnier. Malheureusement l'entrée étai tournée du côté Boche et ces derniers ne se faisaient pas faute de la cribler de coup de fusil ! 
 
 
















 
 
La cabane du cantonnier 
 
     Pour aller chercher ce malheureux, il fallait traverser un espace de trois cent mètres au moins à découvert, le prendre et le ramener. Ce n'était pas une petite affaire. 
 
     Mais, mes trois gaillards n'ont pas froid aux yeux…. En courant, en rampant, ils atteignent la baraque. L'un des sergents charge le blessé sur ses épaules et, au pas gymnastique revient avec son fardeau : Les deux copains l'escortent et tous reviennent sans une égratignure. Je les ai proposés pour une récompense, ils le méritent vraiment. 
 
     Il faut avoir assister à toutes les péripéties de ce sauvetage pour en comprendre la beauté! car le dévouement et le courage sont chose qui ne se commandent pas. 
 
     Nous voici maintenant immobilisés pour quelque temps attendant avec impatience l'heure où l'on pourra se retrouver. 
 
     Tout ce que je te raconte doit rester entre nous n'est-ce pas ? et ne doit pas en sortir du cercle familial. Embrasse tous les tiens pour moi, plusieurs fois, tonton le… et tante germaine aussi. 
 
 
 
     Ton parrain et oncle 


PS : Il y a aujourd'hui plus de deux mois que je ne me suis pas déshabillé…..Eh bien! on s'y habitue fort bien - pour ce qui est de savoir ce que c'est qu'un lit ou un bain, on se contente du souvenir…..C'est très commode pour se lever le matin….