L'Année - 1er semestre 1915 -

   
La première bataille de Champagne (hiver14-15) 
 
 
7 -Première bataille de Champagne 
 
a) Première phase: 20/12/14 au 13/1/15:  
     Une instruction du général Joffre en date du 8/12 prévoit deux offensives principales: IVe et Xe Armées; et quatre attaques secondaires: VIIIe,IIe, IIIe et 1re Armées. La IVe Armée devait attaquer en direction générale d'Attigny. Le dispositif de la IVe Armée est le suivant, d'Ouest en Est: 12e Corps (Roques) coupé en deux avec la Suippe pour séparation, le secteur Ouest (Descoing avec 24e DI et 91e D.I.T.), secteur Est (Roques avec 23e DI et 3 groupes d'artillerie de campagne du 1er C.A.; 60e D.R. (Reveilhac); 17e C.A. (J.-B. Dumas avec les 33e et 34e DI et 2 groupes de l'artillerie divisionnaire du 1er C.A.; le C.A.C. (Lefebvre avec 2e D.I.C. + 33e R.I. et la 3e DI) ; le 2e C.A. (Gérard avec en plus la 10e DI et une brigade coloniale). En réserve: 1er C.A., un bataillon du 284e, 5e chasseur à cheval, 9e et 19e chasseurs, 4e étranger de marche 
 
     L'offensive de la IVe Armée devrait débuter dans des conditions qui semblent favorables. Son effectif depuis l'arrivée du 1er C.A. atteint 258000 hommes, lui assurant une supériorité sur les Allemands (12e C.R., 6e C.A., et des brigades de Landwehr; ils ne seraient que 153 à 168000, mais ont habilement profité du terrain; leurs positions, fortes partout, vont se révéler formidables en certains points). Son artillerie est nombreuse, elle comprend: 488 pièces de 75, 144 de 90, 16 de 65 de montagne, 14 de 80,30 de 120 long, 16 de 155 court, 34 de 155 court M12, 26 mortiers de 15, 4 de 155 long, 6 auto-canons et 2 mortier de 220. Son aviation comprend 3 escadrilles, soit 19 avions types Caudron et Farman, certains munis de T.S.F. 
 
     La bataille débute le 20/12/1914, par une attaque du C.A.C. sur la croupe Calvaire-cote 180 (1 km N.-E. de Beauséjour). La préparation par l'artillerie dure une heure. Deux colonnes d'attaque, celle de droite composée de 2 bataillons du 7e R.I.C., celle de gauche d'un bataillon du 22e R.I.C. et d'un bataillons du 33e R.I.C., s'élancent à 9 h 30 et occupent rapidement les tranchées ennemies. L'adversaire semble avoir été surpris, son artillerie située à proximité des fermes de Maisons de Champagne et Chausson ne riposte sérieusement qu'à partir de 10 h. 
 
     Au 17e C.A., la 33e DI lance trois attaques, fortes chacune d'un bataillon, après une préparation d'artillerie: celle de droite menée par le 20e RI se heurte à des réseaux intacts et s'arrête au pied même de ces réseaux; il en est de même pour l'attaque du centre. A gauche, le bataillon du 7e R.I. parvient jusqu'au Bois des Bouleaux, mais ne peut y pénétrer. 
 
     La 34e D.I. attaque avec 4 bataillons de la 67e brigade (deux du 83e R.I. et deux du 14e R.I. Bien que les réseaux ennemis aient été en partie bouleversés par deux fourneaux de mine et par un tir de mortiers de 15, leurs brèches ne sont pas suffisantes et les vagues d'assaut sont clouées au sol. Seul, un bataillon du 83e R.I. peut enlever quelques éléments de tranchées et s'y maintenir. En Argonne, une violente attaque allemande sur le front du 2e C.A. nous fait perdre du terrain au saillant Sud de Bolante. Le général de Langle renforce le 2e C.A. avec le 4e étranger de marche (Légion Garibaldienne). 
 
     Le 21/12, le C.A.C. organise le terrain conquis et repousse, à 11 h et à 15 h deux violentes contre-attaques allemandes. Au 17e C.A., la 33e D.I. a réussi à faire quelques progrès pendant la nuit. A la 34e D.I., après une bonne préparation d'artillerie, un bataillon du 83e R.I. et le 59e R.I. sont lancés à l'attaque, atteignent la route de Perthes à Souain et la bordent. Au 12e C.A., la 23e D.I., après une préparation d'artillerie d'une heure, attaque à 9 h 30 sur Souain et le Moulin de Souain. Malgré l'ardeur des assaillants, et en particulier du 78e R.I., les attaques échouent devant les défenses accessoires, insuffisamment détruites. 
 
      Le 22/12, on se contente d'organiser le terrain conquis et de repousser les contre-attaques: le 83e R.I. doit même charger à la baïonnette. 
 
    Le 23/12, l'offensive continue au 17e C.A. La 33e D.I. après une très efficace préparation d'artillerie, attaque et enlève à la baïonnette les Tranchées Brunes, où elle installe un bataillon du 20e R.I. et un bataillon du 7e R.I. La 34e D.I. consolidant l'organisation défensive des ouvrages de la cote 200 nouvellement conquise, repousse les contre-attaques ennemies. 
 
     Le 24/12, le 11e R.I. (33e D.I.) enlève les importantes positions du Bois Jaune et du Bois des Moutons. 
 
     Le 25/12, le général de Langle modifie son plan primitif et fait monter en ligne la 1e D.I. du 1er C.A. entre le 17e C.A. et le C.A.C. Le 12eC.A. maintient ses positions en déplaçant vers l'Est son centre de gravité, l'effort principal devant être fait par le 17e C.A., le 1er C.A., le C.A.C. En Argonne, le 2e C.A. toujours fortement engagé continue sa mission, avec un renfort de deux régiments du 1er C.A. Un calme relatif, interrompu seulement par les réactions de l'ennemi, en particulier le 26/12 où la 34e D.I. repousse une violente contre-attaque, va régner momentanément sur le front de la IVe Armée, mais notre artillerie ne sera pas inactive, et nos travaux préparatoires aux assauts prochains seront énergiquement poussés. 
 
     Le 27/.12, le général de Langle est avisé que le 4e C.A. débarque en réserve dans sa zone, mais reste à la disposition du commandant en chef. 
 
     Le 28/12, le C.A.C., partant de la Main de Massiges, attaque les tranchées de la Verrue au N.-O. de la cote 191. Le mauvais temps retarde la préparation d'artillerie qui ne commence qu'à 11 h 30 et qui est insuffisante. Un bataillon du 8e R.I.C. et un bataillon du 33e R.I.C. sortent des tranchées à 12 h 30. Le bataillon du 8e R.I.C., pris sur son flanc gauche par le feu des mitrailleuses intactes, éprouve de lourdes pertes et ne peut avancer; le bataillon du 33e R.I.C. réussit à atteindre les tranchées ennemies et à y prendre pied, mais ayant subi de grosses pertes et très en pointe par la suite de l'échec du bataillon du 8e R.I.C., il reçoit, à la tombée de la nuit, l'ordre d'évacuer la position conquise. La température devient extrêmement pénible et rigoureuse; les nuits sont froides et d'épais brouillards empêchent dès le matin les réglages d'artillerie. 
 
     Le 30/12, le 17e C.A. lance sa 33e D.I. sur les Tranchées Blanches, ouvrage situé au N.-E. de l'extrémité Nord des Tranchées Brunes. La préparation d'artillerie ne peut commencer qu'à 12 h 30, l'attaque se déclenchant à 14 h 45. Le 1er bataillon du 9e R.I. enlève les Tranchées Blanches d'un seul bond et les dépasse suivi par le 2e bataillon tandis que le 3e bataillon est arrêté dans les boyaux. Les 7e R.I. et 20e R.I. restant au Bois Jaune et au Bois des Moutons. A la 34e D.I., l'attaque est déclenchée à 15 h. Mais, au 88e R.I. comme au 83e R.I., on éprouve de grosses difficultés pour déboucher des boyaux étroits, où les troupes d'assaut avaient été maintenues pour échapper au violent bombardement de l'ennemi: notre progression est nulle. Ce même jour, la 3e D.I. du 20 C.A. est fortement attaquée dans le Boie de la Gruerie. Après une contre-attaque, nous laissons seulement une portion de la première ligne mais avec des pertes très importantes. 
 
     A l'aube du 31/12, les Allemands lancent une violente attaque contre les Tranchées Blanches d'où ils sont repoussés avec de lourdes pertes, mais nous soumettent à un bombardement terrible. En Argonne, le 20 C.A. subit quatre terribles attaques allemandes sur Bagatelle, Fontaine-la-Mitte, Fontaine-Madame et Saint-Hubert. Nos pertes sont sérieuses, mais une fois encore le 2e C.A. a résisté à la pression ennemie, et sa situation n'est nullement compromise. 
 
     Du 1/1/15 au 6/1/15, le mauvais temps, la fatigue des troupes, les faibles allocations en munitions que le G.G.G. peut mettre à la disposition de la IVe Armée, ralentissent nos efforts. Le général de Langle recommande que le feu de l'artillerie soit dirigé sur les tranchées objectifs ou leurs abords et sur les emplacements connus de réserves ou de bivouacs, afin de tenir l'ennemi sous la menace constante d'une attaque. 
 
     Le 2/1/15, le 2e C.A. reçoit en renfort la brigade coloniale Marchand à six bataillons mais doit rendre au 1er C.A. ses deux régiments. L'ennemi, inquiété par le redoublement d'activité qu'il constate sur notre front, et par nos travaux qui lui font craindre des opérations prochaines, tente de puissantes réactions. 
 
     Le 5/1, il attaque fortement à Bagatelle et très violemment sur Fontaine-Madame. Le général Gérard décide alors deux attaques; l'une est menée par la 10e D.I. aux Courtes-Chausses à la suite de l'explosion de mines et permet d'acquérir quelques éléments de positions ennemies, l'autre, menée par la 3e D.I. au Nord du Bois de la Gruerie, permet de reprendre quelques tranchées perdues le 31/12/14. De plus, l'ennemi est repoussé à Bagatelle et à Fontaine-Madame. 
 
     Le 7/1, le général Gouraud, commandant la 10e D.I. est blessé à l'épaule par une balle de mitrailleuse en inspectant les tranchées de première ligne. Dans la nuit du 7 au 8/1, à la cote 200, à 1500 mètres à l'Ouest de Perthes, les Allemands, après un très violent bombardement, renversent le barrage de sacs de terre qui les séparait de nos tranchées et s'emparent du saillant. A deux reprises le 83e R.I. essaie de reprendre à la grenade la tranchée perdue; mais il échoue. C'est un bataillon frais du 14. R.I. qui, après un tir d'écrasement, peut réoccuper le terrain perdu. De plus, menacés dans Perthes, les Allemands évacuent alors le village en ruines, qui est jusqu'à la lisière Nord occupé par le 88e R.I. Dans la nuit, une violente contre-attaque ennemie est repoussée. 
 
     Le 8/1, le 2e C.A. quitte la IVe Armée pour la IIIe Armée (Sarrail) afin de soulager le général de Langle de la préoccupation de l'Argonne. Les deux brigades coloniales restent provisoirement avec le 2e C.A. Les pertes du 2e C.A. pendant ses combats en Argonne avec la IVe Armée sont les suivantes: - 118 officiers et 3240 hommes tués, - 228 officiers et 11 953 hommes blessés, - 43 officiers et 6 182 hommes disparus. Au 17e C.A., avec la prise de Perthes, la situation s'affermit par la jonction solide des deux divisions (33e et 34e) au Nord de ce village. Au 1er C.A., suite aux attaques stériles du 127e R.I. du 2/1 au 6/1 sur le fortin de Beauséjour, la 1ere D.I., (général Bré) attaque le fortin, s'en empare et parvient même à la hauteur de la lisière Nord de la seconde portion du Bois des Trois coupures où il doit s'arrêter. C'est à cette époque que le général de Langle recommande de ne plus utiliser le canon de 75, suite à de fréquents éclatements des tubes. Mais pour exploiter les succès au 1er et au 17e Corps, il décida de surseoir à cette recommandation. 
 
     La journée du 9/1 n'apporte pas de changement, si ce n'est que l'artillerie allemande montra peu d'activité. ! Dans la nuit du 9 au 10/1, l'ennemi attaque le 17 C.A. qui résiste et contre-attaque même en lui prenant de nouvelles tranchées. Les attaques du 10 et de la nuit du 10 au 11/1 nous obligent après une lutte acharnée à abandonner le fortin. Mais dès le matin du 11/1, la 1re D.I. attaque et reprend le fortin. L'activité de l'ennemi n'est pas seule à contrarier nos opérations, le mauvais temps nous fait éprouver les plus grandes difficultés dans la préparation de nos attaques. Les tranchées sont en très mauvais état, bouleversées par l'artillerie ennemie, détériorées par le gel et le dégel et remplies d'eau en de nombreux endroits. 
 
     Le 13/1, au 1r C.A., la 33e D.I. appuyée par l'artillerie de la 34e D.I. attaque et prend les tranchées blanches mais la pluie fine qui gêne le réglage de l'artillerie permet aux contre-attaques allemandes de nous refouler. Cet effort du 17e C.A. va marquer la fin des opérations actives de la IVe Armée à cette époque. 
 

b) Deuxième phase: 14/1 au 15/2:  

     Sous le grondement à peu près ininterrompu du canon, les troupes accomplissent leur labeur que les intempéries rendent extrêmement pénible. L'ennemi, qui se résigne difficilement à la perte du terrain que nous lui avons arraché, bombarde nos tranchées le 14/1 dans la région de Beauséjour; les 17, 19, 27/1 dans la région de Perthes et du Mesnil; le 21/1 dans celle de Massiges. Il renforce ses organisations et organise des contre-attaques: l'une, le 21/1 au N.-O. de Beauséjour, repoussée facilement, l'autre, le 25/1 en quatre points différents aux environs de la cote 200, maîtrisée avec plus de peine. 
 
     De notre côté, quelques coups de mains heureux: le 16/1, la 1re D.I. occupe le bois en Equerre; le 20/1, elle s'empare de trois postes allemands entre ce dernier bois et le bois des Trois-Coupures; le 30/1, la 2e D.I. occupe le bois Bistre. 
 
     Le 23/1, le général Gouraud prend le commandement du G.A.C. 
 
     Le 3/2, Sur le front du C.A.G., l'ennemi, après une explosion de mines, occupe une partie de nos tranchées du médius et de l'annulaire et de la cote 191. Le 4e et le 8e R.I.C. contre-attaquent, mais ne peuvent reprendre l'annulaire. Ce même jour, le 17e et le 1er C.A. repoussent deux attaques. Le 4/2, le général en chef adressa au commandant de la IVe Armée une note au sujet de l'échec sur le front du G.A.C.: "...il faut à tout prix, écrivait-il, que nous n'ayons plus d'insuccès. Les Allemands nous donnent l'exemple par la vigueur de leurs attaques, malgré l'état du terrain qui n'est pas meilleur chez eux que chez nous." 
 
     Le 8/2, une brigade du 4e C.A., deux bataillons de la 60e D.R. et un régiment du 1er C.A. furent envoyés dans la zone du C.A.C. Cependant, le mauvais temps s'accentue, les travaux deviennent de plus en plus difficiles et le dégel rend les routes impraticables: "les unités de 1re ligne doivent se borner à nettoyer la tranché" où la boue monte jusqu'à mi-jambes. " Dans la nuit du 11 au 12/2, le C.A.C. rectifiait son front par un repli partiel et s'établissait sur la ligne jalonnée par le ruisseau de l'Etang, Massiges, Ville-sur-Tourbe, La Tourbe jusqu'à l'Aisne. 
 
     Le Général de Langle avait fixé l'attaque de la IVe Armée au 12/2. Ordre de bataille de la IVe Armée, d'Ouest à l'Est: 24e et 23e D.I. du 12e C.A.; 60e D.R.; 34e et 33e D.I. du 17e C.A.; 2e et 1re D.I. du 1er C.A.; C.A.C.; soit 155183 hommes, 7999 officiers, 879 canons dont 110 pièces d'A.L., cinq escadrilles et une compagnie d'aérostation. En face, la IIIe Armée allemande de Von Einem, dont le G.Q.G. est à Vouziers, aurait un effectif de 81500 hommes, 3720 officiers, 470 canons dont 86 d'A.L. et se répartirait d'Ouest en Est: 6e C.A.; 12e C.A.; Brigade de la Garde; 8e C.R.; 18e C.R. ; plus Landwehr et Ersatz. 
 
     Le 12/2, une tempête de neige, arrivant après plusieurs journées de temps clair et sec très utiles à la préparation d'artillerie. fait contremander l'attaque. Ce contre-ordre ne touche pas un bataillon du 271e R.I. (60e D.R.), qui attaque le bois Sabot et enlève par surprise les deux premières tranchées allemandes. En vue de l'attaque fixée au 16/2, la IVe Armée reçoit pour réserves: 2e C.A., 4e C.A. et 1er C.A. de cavalerie. 
 


c) Troisième phase: 16/2 au 17/3.  

     Les deux ailes de la IVe Armée (12e C.A. et C.A.C.) ne sont pas concernées par l'attaque. Elles devront seulement maintenir l'ennemi sous une pression constante et appuyer les unités combattantes du feu de leur artillerie. 
 
     Au 1er C.A., le 43e R.I. de la 1re DI aidé par l'artillerie du C.A.C. enlève la partie Sud du fortin de Beauséjour que nous perdons le soir après une contre-attaque ennemie. Par contre, le 84e R.I. reste maître de 400 mètres de tranchées à l'Ouest du bois des Trois-Coupures. 
 
     A la 2e DI., le 110e R.I. prend pied dans les tranchées blanches tandis que le 33e R.I. échoue devant les tranchées brunes. 
 
     Au 17e C.A., le 11e R.I. et le 7e R.I. de la 33e D.I. s'emparent des tranchées grises. Au Nord-Ouest de Perthes, le 20e R.I. et les deux compagnies du 7e R.I. prennent pied dans le bois rectangulaire. A la 34e D.I., le 88e R.I. et le 59e R.I., appuyée par le feu de l'artillerie de la 60e D.I., s'emparent des tranchées de la première ligne ennemie sur un front de 1 500 mètres entre Souain et Perthes. En cette fin de journée, le général Nudant, aide-major du général en chef, envoyé auprès du général de Langle, trouve que les résultats sont intéressants et permettront de continuer le combat le lendemain. 
 
     Les 17,18 et 19/2 ne sont pas marqués par des conquêtes de terrain aussi importantes que le 16/2. La 34e D.I. prend le bois des Trois Sapins, entre la Petite et la Grande Poche, à l'Ouest de Perthes. La 60e D.R. attaque le Bois Sabot mais échoue. Les Allemands contre-attaquent partout avec violence et reçoivent des renforts. Le général Joffre demande au général de Langle d'étudier la montée en ligne des réserves afin de reprendre l'offensive. Le 16e C.A., renforcé par la 48e D.I. vient en réserve à la IVe Armée. 
 
     Le 21/2, le 22e R.I.C. est mis à la disposition de la 1re D.I. en vue de l'attaque sur le fortin, et la 3e D.I. du 2e C.A. est mise à la disposition de la 1re D.I. et de la 2e D.I. Le 23/ est marqué par la prise du fortin et par une progression de la 3e D.I. qui prend pied dans le bois Rabougri. Le 12e C.A. réussit à s'emparer des bois au Sud-Est d'Auberive 
 
     Le 24/2, à l'aube, le fortin est abandonné après de violentes contre-attaques ennemies. Le 2e C.A. s'intercale entre le 1er C.A. et le C.A.C. L'aviation, pour gêner l'utilisation de la voie ferrée Bazancourt-Challerange, bombarde les gares de la zone ennemie. 
 
     A partir du 25/2 et afin de continuer son offensive, le général de Langle renforce et modifie l'ordre de bataille de la IVe Armée: d'Ouest en Est le front se divise en quatre secteurs: 16e C.A., 12e C.A., 48e D.I. et 60e D.R. sous le commandement du général Grossetti; 17e C.A. et 4e C.A. commandés par le général Dumas; 1er C.A., où le général Guillaumat remplace le général Déligny, et le 2e C.A. commandé par le général Gérard; le C.A.C. commandé par le général Gouraud. 
 
     Le 26/2, les opérations continuent dans les secteurs des généraux Dumas et Gérard. Les seuls progrès sont faits sur le front des 1er et 2e C.A. : des éléments de tranchées dans les bois du Trapèze, Jaune-Brûlé et Allongé tombent entre nos mains. Par contre dans le secteur du général Dumas, nos attaques ne progressent pas, car elles sont brisées par les mitrailleuses allemandes et les barrages d'artillerie lourde qui semblent plus nombreux et plus actifs que de coutume. Afin de contre-battre et neutraliser l'artillerie ennemie, il est prescrit aux C.A. d'organiser partout un réseau d'observation à l'usage du commandant de l'artillerie. 
 
     Le 27/2, la 1re D.I. renforcée de trois bataillons du C.A.C. attaque et prend la première ligne ennemie depuis le bois des Trois-Coupures jusqu'au fortin. Dans la zone des 17e et 4e C.A., nous prenons un ouvrage à 300 mètres à l'Ouest de la Petite Poche. 
 
     Le 28/2, dans le secteur du général Gérard, les coloniaux achèvent la conquête du fortin et la 3e D.I. enlève la cote 196. 
 
     Le 1/3, l'ennemi attaque en vain pour nous chasser des positions conquises. La 3e D.I. repousse même sur la cote 196 les attaques de la Garde prussienne, et s'empare de nouvelles tranchées dans le Bois Allongé. 
 
     Le 2/3, la première ligne ennemie, du fortin aux tranchées blanches, tombe entre nos mains. L'ennemi, renforcé par de nouveaux régiments d'infanterie et d'artillerie de la Garde, contre-attaque sans cesse sur la cote 196. 
 
     Le 3/3, la 61ebrigade du 16e C.A. (81e et 96e R.I.) passe au général Gérard. Dans le secteur du général Dumas, les attaques continuent et échouent: les troupes du 4. C.A. sont épuisées et sont remplacées par celles du 17e C.A. Le 4/3 est occupé par les préparatifs des attaques sur le front des 1er et 2e C.A. et sur celui des 17e et 4e C.A., préparation d'artillerie et organisation des places d'armes. 
 
     Le 5/3, dans le secteur du général Gérard la 61e brigade progresse dans le ravin des Cuisines et la 5e au Nord de la cote 196. Dans le secteur du général Dumas, la 33e D.I. s'empare de quelques tranchées à l'Est de la route de Perthes à Tahure. 
 
     Le 6/3, les attaques continuent sans résultats appréciables. Depuis le 1/3, si l'ordre de bataille de la IVe Armée n'est pas modifié, le 16e C.A. quitte l'Ouest du front pour être à disposition du 17e ou du 1er C.A. C'est pourquoi, en ce 7/3, la 64e brigade (32e D.I. du 16e C.A.) occupe la partie Ouest du bois Sabot; la 60e D.R. attaque les positions ennemies entre le moulin de Souain et la route de Somme-Py après l'explosion de plusieurs fourneaux de mine et une bonne préparation d'artillerie du 16e C.A. avec onze groupes de 75 et cinquante pièces lourdes. 
 
     La 34e D.I. a progressé dans le bois à 200 mètres Nord-Est de la sape Farge; la 33e D.I. continue ses progrès à l'Est de la route de Tahure, les 61e et 4e brigades ont fait de légers progrès dans le ravin des Cuisines et à l'Est de la cote 196. Le 8/3, le 16e C.A. se place entre le 1er et le 2e C.A. maintenus en flanquement sous les ordres du général Grossetti. Les éléments non employés de ces deux C.A. rejoignent le 4e C.A. à l'arrière pour constituer de nouvelles disponibilités. Une tempête de neige et des violentes contre-attaques ennemies ralentissent nos efforts. 
 
     Le 9/3, la 2e DI réussit au Nord de la cote 196 à enlever une position nommée " l'Ouïe du Crocodile ". 
 
     Le 10/3, les attaques du 20 C.A. enlèvent à l'ennemi des organisations très puissantes suivies semble-t-il d'organisations plus sommaires. C'est pourquoi ce front est choisi pour l'attaque du 16e C.A. Le 11/3, l'activité offensive est faible par suite de la préparation des attaques prévues le lendemain. 
 
     Le 12/3, le général Grossetti a divisé son front d'attaque en quatre secteurs dont deux offensifs et deux défensifs. Les deux secteurs défensifs seront celui de droite et celui de gauche tenus par les 1er et 2e C.A.; les deux secteurs offensifs seront ceux du centre occupés par la 31e DI. à droite et la 48e D.I. à gauche. Contrairement à l'attente, les résultats les plus fructueux sont d'abord obtenus au 17e C.A. alors qu'au 16e C.A. les attaques ne donnent que de faibles gains. 
 
     Le 13/3, le combat reprend sur tout le front, mais les résultats sont des plus médiocres: à la 31e D.I., le 122e R.I. attaque sur l'axe Beauséjour -cote 199; le 142e R.I. à l'Est de la cote 196; la 48e D.I. lance le régiment de tirailleurs marocains, le 174e et le 170e R.I.; le 91e R.I. attaque les positions perdues la veille. 
 
     Le 14/3, les opérations aboutissent à un bond en avant jusqu'à la crête Nord de la cote 196 et à une progression vers la lisière Est du bois Jaune-Brûlé. 
 
     Le 15/3, les opérations ne peuvent se développer, car l'ennemi, qui semble s'être renforcé, contre-attaque sans cesse. Par contre la 64e brigade progresse dans le bois Sabot. 
 
     Le 16/3, les opérations reprennent sur tout le front de combat: la 48e D.I. enlève la crête Ouest de la cote 196 jusqu'au bois Jaune-Brûlé; la 31e D.I. avait échoué vers le ravin des Cuisines. A la 33e D.I., les signes de fatigue commençaient à se manifester. 
 
     Le 17/3, les Allemands réagissent, mais si leurs contre-attaques se brisent sur nos feux, elles nous empêchent d'attaquer. Le général Grossetti estime que l'ennemi n'est pas épuisé et qu'il faudrait employer des troupes fraîches pour pouvoir continuer la lutte. Le général de Langle transmet cet avis au général Joffre qui suspend le 18/3 l'offensive de la IVe Armée tout en recommandant de laisser l'ennemi sous l'impression que l'offensive continuait par des tirs d'artillerie. 
 
     A partir du 18/3, les C.A. organisent le terrain conquis et établissent une nouvelle ligne de défense solidement aménagée. Des troupes partent à l'arrière: le 1er C.A., le 2e C.A., le 12e C.A. et le 17e C.A. D'Ouest en Est, il ne restait sur le front de la IVe Armée: 4e C.A. (7e D.I., 91e D.I.T., 8e D.I., 192e Bg.T.) une brigade de la 60e D.R., 16e C.A. et C.A.C. En réserves: une brigade du C.A.C., une brigade de la 60e D.R., quatre bataillons d'infanterie et quatre bataillons de territoriaux du 4e C.A. 8 -Conclusions Le 20/3, les félicitations du général Joffre furent communiquées aux troupes: "...Les unités ont rendu le maximum de ce qu'on pouvait attendre, donnant chaque jour la preuve que leur capacité offensive, leur ardeur guerrière, leur esprit de sacrifice, leur dévouement à la patrie, étaient les mêmes que par le passé. " 
 
     La première bataille de Champagne était terminée. Pendant trois mois de combats, la IVe Armée avait réussi à prendre la cote 200, Perthes ruiné, les Tranchées Brunes, des éléments des Tranchées Blanches, l'ouvrage du Trapèze, le bois Jaune-Brûlé, une partie de la cote 196 et le fortin de Beauséjour. Nous avions maintenu notre front aux deux ailes et nous pouvions affirmer comme le général de Langle: "...si nos troupes attaquent des tranchées après une vigoureuse préparation par les différents calibres, y compris l'emploi en masse des canons de 58 dernier modèle (A.T. arrivée au front au printemps), et si elles sont pourvues elles-mêmes de quantité de grenades à main pour la lutte rapprochée, le succès est assuré. " Mais à quel prix! 
 
     Les pertes pour trois mois de combats:  
-570 officiers et 20916 hommes tués,  
-177 officiers et 16713 hommes disparus,  
-899 officiers et 54157 hommes blessés. Il faut aussi remarquer que 50 % de ces pertes eurent lieu du 16/2 au 18/3, pendant la troisième phase de la bataille au moment où l'on s'efforçait avec le maximum de troupes à rompre le front ennemi. 
 
     Quand on parle de cette première bataille de Champagne, on cite souvent le mot "GRIGNOTAGE". En effet notre " grignotage" de dix kilomètres carrés, où la plus profonde avance était de 1 200 mètres, était payé de 22 morts à l'hectare. Les pertes allemandes sont énormes, supérieures à celles subies pendant la bataille de Mazurie. Cinq corps d'armée allemands sont venus en Champagne, soulageant d'autant les autres fronts. Notre " Homme de la boue ", notre soldat de cette première bataille de Champagne pouvait être fier de ces trois mois d'offensive. Beaucoup de ses camarades restaient et resteront à jamais dans cette boue, mais, avec eux puis sans eux, il avait montré la capacité offensive, la valeur technique, l'abnégation, le dévouement, l'énergie qui avaient été nécessaires pour vivre, combattre, tenir et même mourir. 
 
 Bernard Berthion