Guillaume Apollinaire 
 
Lettres à Lou - Tahure (51) - Sept à Dec 1915
   
 
 
Guillaume Apollinaire " Lettres à Lou " 
Guillaume qui est mi Italien et mi Polonais demande à s'engager au début de la guerre, mais l'armée pensant la guerre courte ne veut pas d'étranger. Il réussit néanmoins après plusieurs tentatives et rentre au 38e Régiment d'Artillerie de Nîmes, début 1915. Il écrit une série de poèmes à Lou, sa muse, plusieurs parlent du secteur de Champagne, en voici deux. 

 
 
 
 
 
- Au 38eRégiment d'Artillerie -  
- secteur de Laval sur Tourbe/Minaucourt - 
- 24 septembre 1915 - 
- La veille de la grande attaque - 
 
 
 
 
Désir 
 
MON désir est la région qui est devant moi  
Derrière les lignes boches  
Mon désir est aussi derrière moi  
Après la zone des armées 
 
Mon désir c'est la butte du Mesnil  
Mon désir est là sur quoi je tire  
De mon désir qui est au-delà de la zone des armées  
Je n'en parle pas aujourd'hui mais j'y pense 
 
Butte du Mesnil je t'imagine en vain  
Des fils de fer des mitrailleuses des ennemis trop sûrs d'eux  
Trop enfoncés sous terre déjà enterrés 
 
Ca ta clac des coups qui meurent en s'éloignant 
 
En y veillant tard dans la nuit  
Le Decauville qui toussote  
La tôle ondulée sous la pluie  
Et sous la pluie ma bourguignotte 
 
Entends la terre véhémente  
Vois les lueurs avant d'entendre les coups 
 
Et tel obus siffler de la démence  
Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût 
 
Je désire  
Te serrer dans ma main Main de Massiges  
Si décharnée sur la carte  
Le boyau Gœthe où j'ai tiré  
J'ai tiré même sur le boyau Nietzsche  
Décidément je ne respecte aucune gloire  
Nuit violente et violette et sombre et pleine d'or par moments  
Nuits des hommes seulement 
 
Nuit du 24 septembre  
Demain l'assaut  
Nuit violente ô nuit dont l'épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute  
Nuit qui criait comme une femme qui accouche  
Nuit des hommes seulement 
 

 





      Guillaume demande à passer dans l'Infanterie, il sera muté en
 novembre 1915 comme Sous-Lieutenant au 96e régiment d'infanterie 
 
 
 
 






- Au 96eRI secteur de Tahure, novembre/décembre 1915  
 
Le poète 
 
Je me souviens ce soir de ce drame indien  
Le Chariot d'Enfant un voleur y survient  
Qui pense avant de faire un trou dans la muraille  
Quelle forme il convient de donner à l'entaille  
Afin que la beauté ne perde pas ses droits  
Même au moment d'un crime  
Et nous aurions je crois  
À l'instant de périr nous poètes nous hommes  
Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes 
 
Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté  
N'est la plupart du temps que la simplicité  
Et combien j'en ai vu qui morts dans la tranchée  
Étaient restés debout et la tête penchée 
S'appuyant simplement contre le parapet 
 
J'en vis quatre une fois qu'un même obus frappait  
Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes  
Avec l'aspect penché de quatre tours pisanes 
 
Depuis dix jours au fond d'un couloir trop étroit  
Dans les éboulements et la boue et le froid  
Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture  
Anxieux nous gardons la route de Tahure 
 
J'ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir  
Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure  
Ô mes soldats souffrants ô blessés à mourir  
Cette nuit est si belle où la balle roucoule  
Tout un fleuve d'obus sur nos têtes s'écoule  
Parfois une fusée illumine la nuit  
C'est une fleur qui s'ouvre et puis s'évanouit 
 
La terre se lamente et comme une marée  
Monte le flot chantant dans mon abri de craie  
Séjour de l'insomnie incertaine maison  
De l'Alerte la Mort et la Démangeaison 

 
 
 
 
 
 
 
 










 
     Guillaume est blessé à la tête le 17 mars 1916au Bois des Buttes à La Ville aux Bois les Pontavert et subira une trépanation, réformé, il décèdera le 8 novembre 1918, trois jours avant l'Armistice de la grippe espagnole. 
 
Guillaume Apollinaire 
(1880 - 1918)